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2° Si l’être hypothétique, tout bon, tout puissant, tout sage, à qui la foi attribue la haute direction des agitations humaines, n’a pas manqué lui-même à la société au moment du péril ? Et, en cas d’affirmative, expliquer cette insuffisance de la Divinité.

En deux mots, nous allons examiner si l’homme est Dieu, si Dieu lui-même est Dieu, ou si, pour atteindre à la plénitude de l’intelligence et de la liberté, nous devons rechercher un sujet supérieur.


§ I. — Culpabilité de l’homme. — Exposition du mythe de la chute.


Tant que l’homme vit sous la loi d’égoïsme, il s’accuse lui-même ; dès qu’il s’élève à la conception d’une loi sociale, il accuse la société. Dans l’un et l’autre cas, c’est toujours l’humanité qui accuse l’humanité ; et ce qui résulte jusqu’à présent de plus clair de cette double accusation, c’est la faculté étrange, que nous n’avons point encore signalée, et que la religion attribue à Dieu comme à l’homme, du repentir.

De quoi donc l’humanité se repent-elle ? De quoi Dieu, qui se repent aussi de nous, nous veut-il punir ? Pœnituit Deum quod hominem fecisset in terra ; et tactus dolore cardia intrinseca, delebo, inquit, hominem…

Si je démontre que les délits dont l’humanité s’accuse ne sont point la conséquence de ses embarras économiques, bien que ceux-ci résultent de la constitution de ses idées ; que l’homme accomplit le mal gratuitement et sans contrainte, de même qu’il s’honore par des actes d’héroïsme que n’exige pas la justice : il s’ensuivra que l’homme, au tribunal de sa conscience, peut bien faire valoir certaines circonstances atténuantes, mais qu’il ne peut jamais être entièrement déchargé de son délit ; que la lutte est dans son cœur comme dans sa raison ; que tantôt il est digne d’éloge et tantôt digne de blâme, ce qui est toujours un aveu de sa condition inharmonique ; enfin, que l’essence de son âme est un compromis perpétuel entre des attractions opposées, sa morale un système à bascule, en un mot, et ce mot dit tout, un éclectisme.