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mais il y a fraude à faire passer une qualité pour une autre : vous voilà donc obligé de différencier les qualités des vins, et par conséquent de les garantir. — Est-ce frauder que de faire des mélanges ? Chaptal, dans son traité de l’art de fabriquer le vin, les conseille comme éminemment utiles ; d’autre part l’expérience prouve que certains vins, en quelque sorte antipathiques l’un à l’autre ou inassociables, produisent par leur mélange une boisson désagréable et malsaine. Vous voilà obligé de dire quels vins peuvent être utilement mélangés, quels ne le peuvent pas. Est-ce frauder que d’aromatiser, alcooliser, mouiller les vins ? Chaptal le recommande encore ; et tout le monde sait que cette droguerie produit tantôt des résultats avantageux, tantôt des effets pernicieux et détestables. Quelles substances allez-vous proscrire ? dans quels cas ? en quelle proportion ? Défendrez-vous la chicorée au café, la glucose à la bière, l’eau, le cidre, le trois-six au vin ?

La chambre des députés, dans l’essai informe de loi qu’il lui a plu de faire cette année sur la falsification des vins, s’est arrêtée au beau milieu de son œuvre, vaincue par les difficultés inextricables de la question. Elle a bien pu déclarer que l’introduction de l’eau dans le vin, et celle de l’alcool au delà d’une proportion de 18 p. 100, était fraude, puis, mettre cette fraude dans la catégorie de délits. Elle était sur le terrain de l’idéologie : là on ne trouve jamais d’encombre. Mais tout le monde a vu dans ce redoublement de sévérité l’intérêt du fisc bien plus que celui du consommateur ; mais la chambre n’a pas osé créer, pour surveiller et constater la fraude, toute une armée de gourmets, de vérificateurs, etc., et charger le budget de quelques nouveaux millions ; mais en prohibant le mouillage et l’alcoolisation, seul moyen qui reste aux marchands-fabricants de mettre le vin à la portée de tout le monde et de réaliser des bénéfices, elle n’a pas pu élargir le débouché par un dégrèvement dans la production. La chambre, en un mot, en poursuivant la falsification des vins, n’a fait que reculer les limites de la fraude. Pour que son œuvre remplît le but, il fallait au préalable dire comment le commerce des vins est possible sans falsification, comment le peuple peut acheter du vin non falsifié : ce qui