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D’autres fois les ouvriers accusent la mauvaise fortune, et s’exhortent à la patience : c’est la contre-partie des remercîments qu’ils adressent à la Providence, lorsque le travail abonde, et que les salaires sont suffisants.

Je trouve dans un article publié par M. Léon Faucher, dans le Journal des Économistes (septembre 1845), que depuis quelque temps les ouvriers anglais ont perdu l’habitude des coalitions, ce qui est assurément un progrès dont on ne peut que les féliciter ; mais que cette amélioration dans le moral des ouvriers vient surtout de leur instruction économique. « Ce n’est point des manufacturiers, s’écriait au meeting de Bolton un ouvrier fileur, que le salaire dépend. Dans les époques de dépression, les maîtres ne sont, pour ainsi dire, que le fouet dont s’arme la nécessité ; et, qu’ils le veuillent ou non, il faut qu’ils frappent. Le principe régulateur est le rapport de l’offre avec la demande ; et les maîtres n’ont pas ce pouvoir… Agissons donc prudemment ; sachons nous résigner à la mauvaise fortune et tirer parti de la bonne : en secondant les progrès de notre industrie, nous serons utiles non-seulement à nous-mêmes, mais au pays tout entier. » (Applaudissements.)

À la bonne heure : voilà des ouvriers bien dressés, des ouvriers modèles. Quels hommes que ces fileurs qui subissent sans se plaindre le fouet de la nécessité, parce que le principe régulateur du salaire est l’offre et la demande ! M. Léon Faucher ajoute avec une naïveté charmante : « Les ouvriers anglais sont des raisonneurs intrépides. Donnez-leur un principe faux, et ils le pousseront mathématiquement jusqu’à l’absurde, sans s’arrêter ni s’effrayer, comme s’ils marchaient au triomphe de la vérité. » Pour moi, j’espère que malgré tous les efforts de la propagande économiste, les ouvriers français ne seront jamais des raisonneurs de cette force. L’offre et la demande, aussi bien que le fouet de la nécessité, n’ont plus de prise sur leurs esprits. Cette misère manquait à l’Angleterre : elle ne passera pas le détroit.

Par l’effet combiné de la division, des machines, du produit net et de l’intérêt, le monopole étend ses conquêtes dans une progression croissante ; ses développements embrassent l’agriculture aussi bien que le commerce et l’industrie,