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la formule de l’énigme qu’il s’agit de déchiffrer. Nous connaissons parfaitement ce que c’est que l’ordre ; mais nous ignorons absolument ce que nous voulons dire par le mot Ame, Esprit ou Intelligence : comment donc pouvons-nous logiquement conclure de la présence de l’un à l’existence de l’autre ? Je récuserai donc jusqu’à plus ample informé la prétendue preuve de l’existence de Dieu, tirée de l’ordre du monde ; et je n’y verrai tout au plus qu’une équation proposée à la philosophie. De la conception de l’ordre à l’affirmation de l’esprit, il y a tout un abîme de métaphysique à combler ; je n’ai garde, encore une fois, de prendre le problème pour la démonstration.

Mais ce n’est pas là ce dont il s’agit en ce moment. J’ai voulu constater que la raison humaine était fatalement et invinciblement conduite à la distinction de l’être en moi et non-moi, esprit et matière, âme et corps. Or, qui ne voit que l’objection des matérialistes prouve précisément ce qu’elle a pour objet de nier ? L’homme distinguant en lui-même un principe spirituel et un principe matériel, qu’est-ce autre chose que la nature même, proclamant tour à tour sa double essence, et rendant témoignage de ses propres lois ? Et remarquons l’inconséquence du matérialisme : il nie, et il est forcé de nier que l’homme soit libre ; or, moins l’homme a de liberté, plus son dire acquiert d’importance et doit être regardé comme l’expression de la vérité. Lorsque j’entends cette machine qui me dit : je suis âme et je suis corps ; bien qu’une semblable révélation m’étonne et me confonde, elle revêt à mes yeux une autorité incomparablement plus grande que celle du matérialiste qui, corrigeant la conscience et la nature, entreprend de leur faire dire : je suis matière et rien que matière, et l’intelligence n’est que la faculté matérielle de reconnaître.

Que serait-ce, si, prenant à mon tour l’offensive, je démontrais combien l’existence des corps, ou, en d’autres termes, la réalité d’une nature purement corporelle, est une opinion insoutenable ? — La matière, dit-on, est impénétrable. — Impénétrable à quoi ? Demanderai-je. A elle-mê-