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tiens dans ce moment est d’autant plus difficile, qu’elle est en opposition directe avec la tendance générale, et que tout à l’heure je devrai moi-même la renverser par sa contradiction.

Je prie donc que l’on me dise comment il est possible de faire appel aux principes de sociabilité, de fraternité et de solidarité, alors que la société elle-même repousse toute transaction solidaire et fraternelle ? Au début de chaque industrie, à la première lueur d’une découverte, l’homme qui invente est isolé ; la société l’abandonne et reste en arrière. Pour mieux dire, cet homme, relativement à l’idée qu’il a conçue et dont il poursuit la réalisation, devient à lui seul la société tout entière. Il n’a plus d’associés, plus de collaborateurs, plus de garants ; tout le monde le fuit : à lui seul la responsabilité, à lui seul donc les avantages de la spéculation.

On insiste : c’est aveuglement de la part de la société, délaissement de ses droits et de ses intérêts les plus sacrés, du bien-être des générations futures ; et le spéculateur, mieux renseigné ou plus heureux, ne peut sans déloyauté profiter du monopole que l’ignorance universelle lui livre.

Je soutiens que cette conduite de la société est, quant au présent, un acte de haute prudence ; et quant à l’avenir, je montrerai qu’elle n’y perd pas. J’ai déjà fait voir, chap. 2, par la solution de l’antinomie de la valeur, que l’avantage de toute découverte utile est incomparablement moindre pour l’inventeur, quoi qu’il fasse, que pour la société ; j’ai porté la démonstration sur ce point jusqu’à la rigueur mathématique. Plus tard je montrerai encore, qu’en sus du bénéfice qui lui est assuré sur toute découverte, la société exerce, sur les privilèges qu’elle concède, soit temporairement, soit à perpétuité, des répétitions de plusieurs sortes, qui couvrent largement l’excès de certaines fortunes privées, et dont l’effet ramène promptement l’équilibre. Mais n’anticipons pas.

J’observe donc que la vie sociale se manifeste d’une double manière, conservation et développement.

Le développement s’effectue par l’essor des énergies individuelles ; la masse est de sa nature inféconde, passive et ré-