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corvées ? C’était pour contenter son orgueil que monsieur le maire voulait, aux dépens des pauvres fermiers, ouvrir une si belle avenue aux amis de la ville qui viendraient le visiter !… Malgré tout la route fut faite, et paysans de s’applaudir ! Quelle différence ! disaient-ils : autrefois nous mettions huit chevaux pour conduire trente sacs au marché, et nous restions trois jours ; maintenant nous partons le matin avec deux chevaux, et nous revenons le soir. — Mais dans tous ces discours il n’est plus question de maire. Depuis que l’événement lui a donné raison, on cesse de parler de lui : j’ai su même que la plupart lui en voulaient.

Ce maire s’était conduit en Aristide. Supposons que, fatigué d’absurdes vociférations, il eût dès le principe proposé à ses administrés d’exécuter le chemin à ses frais, moyennant qu’on lui eût payé, pendant cinquante ans, un péage, chacun au surplus demeurant libre d’aller, comme par le passé, à travers champs : en quoi cette transaction aurait-elle été frauduleuse ?

Voilà l’histoire de la société et des monopoleurs.

Tout le monde n’est point à même de faire présent à ses concitoyens d’une route ou d’une machine : d’ordinaire, c’est l’inventeur qui, après s’être épuisé de santé et de bien, attend récompense. Refusez donc, en les raillant encore, à Arkwright, à Watt, à Jacquard, le privilège de leur découverte ; ils s’enfermeront pour travailler, et peut-être emporteront dans la tombe leur secret. Refusez au colon la possession du sol qu’il défriche, et personne ne défrichera.

Mais, dit-on, est-ce là le véritable droit, le droit social, le droit fraternel ? Ce qui s’excuse au sortir de la communauté primitive, effet de la nécessité, n’est qu’un provisoire qui doit disparaître devant une intelligence plus complète des droits et des devoirs de l’homme et de la société.

Je ne recule devant aucune hypothèse : voyons, approfondissons. C’est déjà un grand point que, de l’aveu des adversaires, pendant la première période de la civilisation, les choses n’aient pu se passer autrement. Il reste à savoir si les établissements de cette période ne sont en effet, comme on l’a dit, qu’un provisoire, ou bien le résultat de lois immanentes dans la société et éternelles. Or, la thèse que je sou-