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à peine sortie de l’école, et devenue inamovible, n’est plus stimulée par la concurrence.

On cite, comme preuve de la capacité industrielle de l’État, et par conséquent de la possibilité d’abolir partout la concurrence, l’administration des tabacs. — Là, dit-on, point de sophistication, point de procès, point de faillite, point de misère. Les ouvriers, suffisamment rétribués, instruits, prêchés, moralisés, assurés d’une retraite formée par leurs épargnes, sont dans une condition incomparablement meilleure que celle de l’immense majorité des ouvriers qu’occupe la libre industrie.

Tout cela peut être vrai : quant à moi, je l’ignore. Je ne sais rien de ce qui se passe dans l’administration des tabacs ; je n’ai pris de renseignements ni auprès des directeurs, ni auprès des ouvriers, et je n’en ai pas besoin. Combien coûte le tabac vendu par l’administration ? combien vaut-il ? Vous pouvez répondre à la première de ces questions : il vous suffit pour cela de passer au premier bureau. Mais vous ne pouvez rien me dire sur la seconde, parce que vous manquez de terme de comparaison, qu’il vous est interdit de contrôler par des essais les prix de revient de la régie, et par conséquent impossible de les accepter. Donc, l’entreprise des tabacs, érigée en monopole, coûte à la société nécessairement plus qu’elle ne lui rapporte ; c’est une industrie qui, au lieu de subsister de son propre produit, vit de subvention ; qui par conséquent, loin de nous offrir un modèle, est un des premiers abus que doive frapper la réforme.

Et quand je parle de la réforme à introduire dans la production du tabac, je ne considère pas seulement l’impôt énorme qui triple ou quadruple la valeur de ce produit ; ni l’organisation hiérarchique de ses employés, qui fait des uns, par leurs traitements, des aristocrates aussi coûteux qu’inutiles, et des autres des salariés sans espérance, retenus à jamais dans une condition subalterne. Je ne parle pas davantage du privilége des bureaux et de tout ce monde de parasites qu’ils font vivre : j’ai surtout en vue le travail utile, le travail des ouvriers. Par cela seul que l’ouvrier de l’administration n’a point de concurrence, qu’il n’est intéressé ni au bénéfice ni à la perte, qu’il n’est pas libre, en un mot,