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pour un économiste d’autant de génie que Turgot et A. Smith ; mais je vous préviens qu’alors vous ressemblerez à ce dernier, que vous connaissez peu sans doute, vous serez un égalitaire ! Tenez-vous la gageure ?

Pour mieux préparer M. Reybaud à cette espèce de réconciliation avec lui-même, montrons-lui d’abord que cette versatilité de jugement, que tout autre à ma place lui reprocherait avec une aigreur injurieuse, est une trahison, non pas de l’écrivain, mais des faits dont il s’est rendu l’interprète.

En mars 1844, M. Reybaud publia sur les graines oléagineuses, sujet qui intéressait la ville de Marseille, sa patrie, un article où il se prononçait chaudement pour la libre concurrence et l’huile de sésame. D’après les renseignements recueillis par l’auteur et qui paraissent authentiques, le sésame rendrait de 45 à 46 pour 100 d’huile, tandis que l’œillette et le colza ne donnent que 25 à 30 pour 100, et l’olive seulement 20 à 22. La sésame, pour cette raison, déplaît aux fabricants du Nord, qui en ont demandé et obtenu la prohibition. Cependant les Anglais sont à l’affût, prêts à s’emparer de cette branche précieuse de commerce. Qu’on prohibe la graine, dit M. Reybaud, l’huile nous reviendra mélangée, en savon, ou de toute autre manière : nous aurons perdu le bénéfice de fabrication. D’ailleurs, l’intérêt de notre marine exige que ce commerce soit protégé ; il ne s’agit pas de moins que de 40,000 tonneaux de graines, ce qui suppose un appareil de navigation de 300 bâtiments et 3,000 marins.

Ces faits sont concluants : 45 pour 100 d’huile au lieu de 25 ; qualité supérieure à toutes celles de France ; réduction de prix pour une denrée de première nécessité ; économie pour les consommateurs, 300 navires, 3,000 marins : voilà ce que nous vaudrait la liberté du commerce. Donc, vivent la concurrence et le sésame !

Puis, afin de mieux assurer ces brillants résultats, M. Reybaud, entraîné par son patriotisme, et poursuivant droit son idée, observe, et très-judicieusement selon nous, que le gouvernement devra s’abstenir dorénavant de tout traité de réciprocité pour les transports : il demande que la marine française exécute tant les importations que les exportations du commerce français. « Ce que l’on nomme réciprocité, dit-il, est