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II.


Il semble dès lors que tout soit fini ; il semble que l’humanité cessant de s’adorer et de se mystifier elle-même, le problème théologique soit écarté à jamais. Les dieux sont partis : l’homme n’a plus qu’à s’ennuyer et mourir dans son égoïsme. Quelle effrayante solitude s’étend autour de moi et se creuse au fond de mon âme ! Mon exaltation ressemble à l’anéantissement, et depuis que je me suis fait Dieu, je ne me vois plus que comme une ombre. Il est possible que je sois toujours un moi, mais il m’est bien difficile de me prendre pour l’absolu ; et si je ne suis pas l’absolu, je ne suis que la moitié d’une idée.

Un peu de philosophie éloigne de la religion, a dit je ne sais quel penseur ironique ; et beaucoup de philosophie y ramène. — Cette observation est d’une vérité humiliante. Toute science se développe en trois époques successives, que l’on peut appeler, en les comparant aux grandes époques de la civilisation, époque religieuse, époque sophistique, époque scientifique[1]. Ainsi, l’alchimie désigne la période religieuse de la science plus tard appelée chimie, et dont le plan définitif n’est pas encore trouvé ; tout comme l’astrologie forme la période religieuse d’une autre construction scientifique, l’astronomie.

Or, voici qu’après s’être moqués soixante ans de la pierre philosophale, les chimistes, conduits par l’expérience, n’osent plus nier la transmutabilité des corps ; tandis que les astronomes sont amenés par la mécanique du monde à soupçonner aussi une organique du monde, c’est-à-dire précisément quelque chose comme l’astrologie. N’est-ce pas le cas de dire, à l’instar du philosophe que j’ai cité tout à l’heure, que si un peu de chimie détourne de la pierre philosophale, beaucoup de chimie ramène à la pierre philosophale ; et sem-

  1. Voir, entre autres, Auguste Comte, Cours de philosophie positive, et P.-J. Proudhon, de la Création de l’ordre dans l’humanité.