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Ce dernier point mérite que nous nous y arrêtions un instant.

Dans la communauté primitive, la misère, ainsi que je l’ai fait observer au précédent paragraphe, est la condition universelle.

Le travail est la guerre déclarée à cette misère.

Le travail s’organise, d’abord par la division, ensuite par les machines, puis par la concurrence, etc., etc.

Or, il s’agit de savoir s’il n’est pas de l’essence de cette organisation, telle qu’elle nous est donnée dans l’économie politique, en même temps qu’elle fait cesser la misère des uns, d’aggraver celle des autres d’une manière fatale et invincible. Voilà dans quels termes la question du paupérisme doit être posée, et voilà comment nous avons entrepris de la résoudre.

Que signifient donc ces commérages éternels des économistes sur l’imprévoyance des ouvriers, sur leur paresse, leur manque de dignité, leur ignorance, leurs débauches, leurs mariages prématurés, etc. ? Tous ces vices, toute cette crapule n’est que le manteau du paupérisme ; mais la cause, la cause première qui retient fatalement les quatre cinquièmes du genre humain dans l’opprobre, où est-elle ? La nature n’a-t-elle pas fait tous les hommes également grossiers, rebelles au travail, lubriques et sauvages ? le patricien et le prolétaire ne sont-ils pas sortis du même limon ? D’où vient donc, après tant de siècles, et malgré tant de prodiges de l’industrie, des sciences et des arts, que le bien-être et la politesse n’ont pu devenir le patrimoine de tous ? D’où vient qu’à Paris et à Londres, aux centres des richesses sociales, la misère est aussi hideuse qu’au temps de César et d’Agricola ? Comment, à côté de cette aristocratie raffinée, la masse est-elle demeurée si inculte ? On accuse les vices du peuple : mais les vices de la haute classe ne paraissent pas moindres, peut-être même sont-ils plus grands. La tache originelle est égale chez tous : d’où vient, encore une fois, que le baptême de la civilisation n’a pas eu pour tous la même efficace ? Ne serait-ce point que le progrès lui-même est un privilége, et qu’à l’homme qui ne possède ni char ni monture, force est de patauger éternellement dans la boue ? Que dis-je ? à