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l’autre ; et pour ne point éveiller de soupçon il se lance à travers une autre idée révolutionnaire, l’égalité.

« La France est en état de fournir à l’école polytechnique vingt fois autant d’élèves qu’il y en entre aujourd’hui (la moyenne étant de 176, ce serait 3, 520). L’Université n’a qu’à le vouloir… Si mon opinion était de quelque poids, je soutiendrais que l’aptitude mathématique est beaucoup moins spéciale qu’on ne le croit communément. Je rappelle le succès avec lequel des enfants, pris pour ainsi dire au hasard sur le pavé de Paris, suivent l’enseignement de La Martinière, d’après la méthode du capitaine Tabareau. »

Si l’enseignement secondaire, réformé selon les vues de M, Chevalier, était suivi par tous les jeunes Français, tandis qu’il ne l’est communément que par 90,000, il n’y aurait aucune exagération à élever le chiffre des spécialités mathématiques de 3,520 à 10,000 ; mais, par la même raison, nous aurions 10,000 artistes, philologues et philosophes ; — 10,000 médecins, physiciens, chimistes et naturalistes ; — 10,000 économistes, jurisconsultes, administrateurs ; — 20,000 industriels, contre-maîtres, négociants et comptables ; — 40,000 agriculteurs, vignerons, mineurs, etc. ; total, 100,000 capacités par an, soit environ le tiers de la jeunesse. Le reste, au lieu d’aptitudes spéciales, n’ayant que des aptitudes mêlées, se classerait indifféremment partout.

Il est sûr qu’un si puissant essor donné aux intelligences accélérerait la marche de l’égalité, et je ne doute pas que tel ne soit le vœu secret de M. Chevalier. Mais voilà précisément ce qui m’inquiète : les capacités ne font jamais défaut, pas plus que la population, et la question est de trouver de l’emploi aux unes et du pain à l’autre. En vain M. Chevalier nous dit-il : « L’instruction secondaire donnerait moins de prise à la plainte qu’elle lance dans la société des flots d’ambitieux dénués de tous moyens de satisfaire leurs désirs, et intéressés à bouleverser l’État ; gens inappliqués et inapplicables, bons à rien et se croyant propres à tout, particulièrement à diriger les affaires publiques. Les études scientifiques exaltent moins l’esprit. Elles l’éclairent et le règlent en même temps ; elles approprient l’homme à la vie pratique ... » — Ce langage, lui répliquerai-je, est bon à tenir à des patriarches : un pro-