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que ce moyen de répartition, fixe et durable, offre plus de commodité ; mais comment ce partage aurait-il fondé pour chacun un droit transmutable de propriété sur une chose à laquelle tous avaient un droit inaliénable de possession ? Aux termes de la jurisprudence, cette métamorphose du possesseur en propriétaire est légalement impossible : elle implique, dans la juridiction primitive, le cumul du possessoire et du pétitoire ; et, dans la concession que l’on suppose avoir été réciproque entre les copartageants, la transaction sur un droit naturel. Les premiers agriculteurs, qui furent aussi les premiers auteurs de lois, n’étaient pas aussi savants que nos légistes, j’en conviens ; et quand ils l’eussent été, ils ne pouvaient faire pis : aussi ne prévirent-ils pas les conséquences de la transformation du droit de possession privée en propriété absolue. Mais pourquoi ceux qui plus tard établirent la distinction du jus in re et du jus ad rem ne l’ont-ils pas appliquée au principe même de la propriété ?

Je rappelle les jurisconsultes à leurs propres maximes.

Le droit de propriété, si tant est qu’il puisse avoir une cause, n’en peut avoir qu’une seule : Dominium non potest nisi ex una causa contingere. Je puis posséder à plusieurs titres ; je ne puis être propriétaire qu’à un seul : Non, ut ex pluribus causis idem nobis deberi potest, ita ex pluribus causis idem potest nostrum esse. Le champ que j’ai défriché, que je cultive, sur lequel j’ai bâti ma maison, qui me nourrit, moi, ma famille et mon bétail, je peux le posséder : 1o à titre de premier occupant ; 2o à titre de travailleur ; 3o en vertu du contrat social qui me l’assigne pour partage. Mais aucun de ces titres ne me donne le domaine de propriété. Car, si j’invoque le droit d’occupation, la société peut me répondre : J’occupe avant toi ; si je fais valoir mon travail, elle dira : C’est à cette condition seulement que tu possèdes ; si je parle de conventions, elle répliquera : Ces conventions établissent précisément la qualité d’usufruitier. Tels sont pourtant les seuls titres que les propriétaires mettent en avant ; ils n’ont jamais pu en découvrir d’autres. En effet, tout droit, c’est Pothier qui nous l’ap-