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que la force des choses, les lois de la conscience, la nécessité physique et mathématique, doivent détruire à la fin cette illusion de notre faculté judiciaire.

Je me résume. La liberté est un droit absolu, parce qu’elle est à l’homme, comme l’impénétrabilité est à la matière, une condition sine qua non d’existence ; l’égalité est un droit absolu, parce que sans égalité il n’y a pas de société ; la sûreté est un droit absolu, parce qu’aux yeux de tout homme sa liberté et sa vie sont aussi précieuses que celles d’un autre : ces trois droits sont absolus, c’est-à-dire, non susceptibles d’augmentation ni de diminution, parce que dans la société chaque associé reçoit autant qu’il donne, liberté pour liberté, égalité pour égalité, sûreté pour sûreté, corps pour corps, âme pour âme, à la vie et à la mort.

Mais la propriété, d’après sa raison étymologique et les définitions de la jurisprudence, est un droit en dehors de la société : car il est évident que si les biens de chacun étaient biens sociaux, les conditions seraient égales pour tous, et il impliquerait contradiction de dire : La propriété est le droit qu’a tout homme de disposer de la manière la plus absolue d’une propriété sociale. Donc si nous sommes associés pour la liberté, l’égalité, la sûreté, nous ne le sommes pas pour la propriété ; donc si la propriété est un droit naturel, ce droit naturel n’est point social, mais antisocial. Propriété et société sont choses qui répugnent invinciblement l’une à l’autre : il est aussi impossible d’associer deux propriétaires que de faire joindre deux aimants par leurs pôles semblables. Il faut ou que la société périsse, ou qu’elle tue la propriété.

Si la propriété est un droit naturel, absolu, imprescriptible et inaliénable, pourquoi, dans tous les temps, s’est-on si fort occupé de son origine ? car c’est encore là un des caractères qui la distinguent. L’origine d’un droit naturel, bon Dieu ! et qui jamais s’est enquis de l’origine des droits de liberté, de sûreté ou d’égalité ? ils sont par cela que nous sommes : ils naissent, vivent et meurent avec nous. C’est bien autre chose, vraiment, pour la propriété : de par la loi, la propriété existe même sans le propriétaire, comme