Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.

peuple est littéralement mise à nu et mangée vive par les autres.

Le peuple des travailleurs ne peut acheter ni les étoffes qu’il tisse, ni les meubles qu’il fabrique, ni les métaux qu’il forge, ni les pierreries qu’il taille, ni les estampes qu’il grave ; il ne peut se procurer ni le blé qu’il sème, ni le vin qu’il fait croître, ni la chair des animaux qu’il élève ; il ne lui est pas permis d’habiter les maisons qu’il a bâties, d’assister aux spectacles qu’il défraye, de goûter le repos que son corps réclame : et pourquoi ? Parce que pour jouir de tout cela il faudrait l’acheter au prix coûtant, et que le droit d’aubaine ne le permet pas. Sur l’enseigne de ces magasins somptueux que son indigence admire, le travailleur lit en gros caractères : C’est ton ouvrage, et tu n’en auras pas : Sic vos non vobis !

Tout chef de manufacture qui fait travailler 1,000 ouvriers, et qui gagne sur chacun un sou par jour, est un homme qui prépare la détresse de 1,000 ouvriers ; tout bénéficiaire a juré le pacte de famine. Mais le peuple n’a pas même ce travail à l’aide duquel la propriété l’affame ; et pourquoi ? parce que l’insuffisance du salaire force les ouvriers à l’accaparement du travail, et qu’avant d’être décimés par la disette, ils se déciment entre eux par la concurrence. Ne nous lassons point de poursuivre cette vérité.

Si le salaire de l’ouvrier ne peut acheter son produit, il s’ensuit que le produit n’est pas fait pour le producteur. À qui donc est-il réservé ? au consommateur plus riche, c’est-à-dire à une fraction seulement de la société. Mais quand toute la société travaille, elle produit pour toute la société : si donc une partie seulement de la société consomme, il faut que tôt ou tard une partie de la société se repose. Or, se reposer, c’est périr, tant pour le travailleur que pour le propriétaire : vous ne sortirez jamais de là.

Le plus désolant spectacle qui se puisse imaginer, c’est de voir les producteurs se roidir et lutter contre cette nécessité mathématique, contre cette puissance des nombres, que leurs préoccupations les empêchent d’apercevoir.

Si 100,000 ouvriers imprimeurs peuvent fournir à la con-