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Que sont les travailleurs les uns par rapport aux autres ? des membres divers d’une grande société industrielle, chargés, chacun en particulier, d’une certaine partie de la production générale, d’après le principe de la division du travail et des fonctions. Supposons d’abord que cette société se réduise aux trois individus suivants : un éleveur de bétail, un tanneur, un cordonnier. L’industrie sociale consiste à faire des souliers. Si je demandais quelle doit être la part de chaque producteur dans le produit de la société, le premier écolier venu me répondrait par une règle de commerce ou de compagnie, que cette part est égale au tiers du produit. Mais il ne s’agit pas ici de balancer les droits de travailleurs conventionnellement associés : il faut prouver qu’associés ou non, nos trois industriels sont forcés d’agir comme s’ils l’étaient ; que, bon gré mal gré qu’ils en aient, la force des choses, la nécessité mathématique les associe.

Trois opérations sont nécessaires pour produire des souliers : l’éducation du bétail, la préparation des cuirs, la taille et la couture. Si le cuir, sortant de l’étable du fermier, vaut 1, il vaut 2 en sortant de la fosse du tanneur, 3 en sortant de la boutique du cordonnier. Chaque travailleur a produit un degré d’utilité ; de sorte qu’en additionnant tous les degrés d’utilité produite, on a la valeur de la chose. Pour avoir une quantité quelconque de cette chose, il faut donc que chaque producteur paye, d’abord son propre travail, secondement le travail des autres producteurs. Ainsi, pour avoir 10 de cuir en souliers, le fermier donnera 30 de cuir cru, et le tanneur 20 de cuir tanné. Car 10 de cuir en souliers valent 30 de cuir cru, par les deux opérations successives qui ont eu lieu, comme 20 de cuir tanné valent aussi 30 de cuir cru par le travail du tanneur. Mais que le cordonnier exige 33 du premier et 22 du second pour 10 de sa marchandise, l’échange n’aura pas lieu ; car il s’ensuivrait que le fermier et le tanneur, après avoir payé 10 le travail du cordonnier, devraient racheter pour 11 ce qu’ils auraient eux-mêmes donné pour 10 ; ce qui est impossible.