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l’astre radieux ne refuse point sa lumière aux humbles satellites qui pivotent autour de lui : le maître du festin laisse les petites gens se disputer les miettes qu’il dédaigne comme trop mesquines pour son estomac. — La curée est si abondante !

Revendiquer ses priviléges, c’était bon aux agents de change de l’autre siècle, quand ils avaient à se partager, entre eux soixante, quelques maigres créances sur l’État et de rares billets de commerce. C’était bon encore au temps de la Restauration, lorsque le bulletin de la Bourse était limité aux rentes, aux actions de la Banque, aux actions des canaux, de vraies bimbeloteries.

Mais aujourd’hui qu’à ces valeurs anciennes sont venus s’ajouter les mines, les forges, le gaz, les chemins de fer, des milliards de commandite, il serait vraiment mesquin de chercher noise à de pauvres hères qui se contentent d’opérer sur quelques centaines de millions. Aussi nos agents de change d’aujourd’hui se conduisent-ils en grands seigneurs, libéraux et courtois. Non contents de tolérer les coulissiers et les courtiers sans mandats, ils chargent volontiers les premiers de leur acheter de la rente, et ils font une remise aux seconds, qui ont besoin de leur intervention pour certains marchés où le concours des agents officiels est nécessaire.

On se demandera peut-être pourquoi, lorsque le chiffre des titres négociables a plus que décuplé, le nombre des agents de change est resté le même. Ils ne sont que soixante aujourd’hui, comme en 1830, comme en 1815, comme en 1724. Ce chiffre de soixante est-il sacramentel ?

Sans doute la compagnie, fort accommodante pour les petits empiétements, le serait infiniment moins s’il s’agissait seulement de doubler les offices. Un gouvernement pourrait-il sans danger indisposer la corporation, toucher à l’arche sainte du plus vieux monopole ? Les anciens titrés crieraient bien haut ; la reconnaissance des nouveaux ferait-elle contrepoids à ce mécontentement ?…

Il n’y a, selon nous, que deux systèmes rationnels : ou la liberté, comme en 1791, pour tout individu, d’exercer, moyennant patente, la profession d’agent de change ; ou le