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L’amortissement du capital ! On sait le parti qu’ont tiré de cet épouvantail tous les sauveurs de la société depuis une vingtaine d’années, surtout depuis la révolution de 1848. Les moins effrayés ne furent pas les fondateurs de la République. À les entendre, le monde, la veille du déluge, n’était pas plus près de sa perte.

Des usuriers, enrichis de toutes les misères qu’ils avaient semées autour d’eux, les loups-cerviers de la banque, les grecs de l’agio, se mettaient à invoquer la sainteté du travail, source ultra-légitime de la propriété. Ils parlaient avec attendrissement de l’homme des champs, cultivant avec sa famille, au sein de la paix et de l’innocence, l’héritage paternel, d’où le socialisme, non moins inexorable sans doute que le prêteur hypothécaire, menaçait de l’arracher.

Puis, à l’exemple des Jérémies bancocrates, les honnêtes petits bourgeois de la classe moyenne, bonnes gens dont la vue est aussi longue que le crédit, et que distingue si fort l’esprit d’entreprise, se répandaient en lamentations sur la liberté de l’industrie, que la révolution allait immobiliser et asservir. On voulait, à les en croire, couper les ailes au génie, établir dans la France progressiste le gouvernement de la routine. Il fallait, selon eux, à une grande nation de grandes existences, à une république vraiment digne une aristocratie de fortunes, servant de mobile aux spéculations hardies du travail et de l’art. Et ils pleuraient les individualités glorieuses, honneur de la civilisation et de la patrie, que l’association ouvrière allait étouffer ; et ils se demandaient avec désespoir ce qui remplacerait l’opulence, quand il n’y aurait plus de misère !…

C’était contre la loi d’expropriation, rendue à la demande et pour l’avantage des grandes Compagnies ; contre leurs tarifs exorbitants et leurs coalitions monstrueuses, qu’il fallait invoquer ces balivernes : elles eussent eu du moins le mérite de l’à-propos. L’établissement des grandes voies de communication, taillant et tranchant, de par la loi, à travers champs, prairies et vignobles, sans aucun souci de l’héritage paternel et de l’innocent laboureur ; écrasant de sa concurrence déloyale le batelier, le roulier et le commis-