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semble ne devoir jamais manquer d’habitants, pas plus que d’entrepreneurs. Comptant sur une population fidèle, elle pourrait donc, tout en réservant aux fondateurs un revenu suffisant, offrir à prix réduits des logements, des lavoirs, des bains, des asiles. C’est une manière d’industrialiser la propriété bâtie, qui s’accorde merveilleusement avec les nouvelles institutions de crédit, et tend de plus en plus à ramener l’économie sociale à un principe unique, l’échange.

Les ouvriers, à tort ou à raison, précisément peut-être parce que l’initiative venait d’en haut, ne se sont point montrés partisans empressés de ce système. L’idée de les parquer dans des quartiers à part révèle une pensée de méfiance et de caste, qui laisse subsister le schisme, et jure avec les instincts de liberté et d’égalité. Joignez à cela une grille se fermant à heure fixe, comme dans une geôle, et donnant à l’institution certain cachet de police !… et l’on comprendra le peu de faveur avec laquelle la Cité ouvrière a été accueillie.

Pourquoi, si l’on avait vraiment la volonté de procurer aux ouvriers des logements à bas prix, au lieu de Cités ouvrières, ne pas baser la spéculation, l’institution si l’on veut, sur l’achat de maisons particulières, disséminées dans tous les quartiers de la capitale, et qui, convenablement aménagées, restaurées, eussent amené et maintenu la baisse des loyers, en faisant partout concurrence aux propriétaires ? Pourquoi, si l’on tient si fort à protéger l’industrie du bâtiment, ne pas charger de la construction des Cités des Compagnies d’ouvriers maçons, plâtriers, ce qui eût été favoriser à la fois les ouvriers dans leur habitation et dans leur travail, et faire coup double ? Pourquoi ne pas admettre aux bénéfices de la combinaison, les fabricants, les boutiquiers, les rentiers eux-mêmes et les propriétaires, qui presque jamais n’habitent leurs maisons, aussi bien que les gens du peuple ? Est-ce que l’épicier, la modiste, le marchand de vin, le commerçant en étoffes, n’ont pas, autant au moins que l’ouvrier, besoin de logements, ateliers, et magasins à bon marché ?… Toute réforme doit être générale et n’exclure personne : c’est éterniser la servitude et consa-