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I. Associations ouvrières.


La pensée qui d’abord les inspira fut naïve, malheureusement illusoire. On voulait, en affranchissant le travail du patronat, faire jouir les ouvriers, associés entre eux et devenus maîtres, des bénéfices et prérogatives, supposés immenses, jusqu’alors réservés aux chefs d’établissements. On ignorait que dans la plupart, pour ne pas dire la presque totalité des industries occupant des groupes de travailleurs, dans celles-là surtout où l’association spontanée pouvait paraître immédiatement praticable, les bénéfices, quand ils existent, satisfaisants pour un seul, ne sont plus rien répartis entre des multitudes. Dans une grande manufacture, les profits du maître, distribués aux salariés qu’il emploie, n’augmentant pas de 10 0/0 des salaires variant de 50 c. à 1 fr. 50 c, ne seraient, à l’indigence des travailleurs, que d’un faible soulagement. Il en est ainsi de toutes les professions, considérées en masse : le produit net de l’entrepreneur, produit que l’on doit considérer la plupart du temps comme le fruit de ses combinaisons particulières et l’indemnité de ses risques, n’est pas ce qui cause la misère de l’ouvrier ; ce n’est pas par conséquent la revendication de ce produit net qui peut la guérir. Dans les 4 milliards que le Travail doit payer chaque année pour le maintien du régime féodal, le produit net, perçu sous forme de dividende en plus de l’intérêt, ne forme pas 100 millions : la cause du paupérisme, qu’on voulait atteindre, n’est pas là.

Les associations ouvrières, fondées en haine du patronat, sur une pensée de substitution, ont pu bientôt s’en convaincre. D’autres mécomptes, fruit de l’inexpérience et du préjugé, l’entraînement des idées de centralisation, de communauté, d’hiérarchie, de suprématie, le parlementage politique, ne tardèrent pas à faire naître la division et le découragement. Tous les abus des sociétés en nom collectif, en commandite et anonymes, furent exagérés encore dans ces compagnies soi-disant fraternelles. On avait rêvé d’accaparer toute l’industrie, de frapper de nullité et de mort les entreprises libres, de remplacer, en tout et pour tout, la