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nier roi, se trouve à la Bourse. Les principes qui régissent la société, son esprit, sa conscience, ses idées sur le juste et l’injuste, viennent se résumer dans ce sommaire. La Bourse est le pouls que doit palper le pathologiste afin de diagnostiquer l’état moral du pays. Là tout ce qui peut être l’objet d’une appréciation est représenté : richesse matérielle et richesse immatérielle, comme disait Say ; le génie des savants et l’habileté des industrieux ; la probité du citoyen et l’honnêteté du gouvernement ; le patriotisme et le droit des gens ; la vertu et les intérêts.

Eh bien ! telle est maintenant la question que le pays se pose : Y a-t-il quelqu’un en France qui croie encore à la justice et à l’honneur ? Sommes-nous tous gangrenés, ou reste-t-il quelques âmes saines ? Que l’oracle réponde. La consultation est des plus graves ; ne dédaignons aucun symptôme…

Nous voilà loin des discussions casuistiques sur l’innocuité ou l’immoralité du jeu. Les 80 millions de droits de courtage des agents de change, les 50 à 60 millions nécessités par les reports à chaque liquidation, les centaines de millions engagés comme couvertures et payements de différences sur des transactions fictives : toute cette affluence de capitaux détournés de l’agriculture, du commerce et de l’industrie ; le dégoût des affaires sérieuses, la fièvre du gain illicite, aléatoire, ayant pour corollaire la ruine des familles, sont les moindres des crimes de l’agiotage. Le vol, la concussion, la malversation, l’escroquerie, l’abus de confiance, font partie intégrante de ses moyens, de ses mœurs.

Que les journaux, clients de la féodalité boursière, viennent encore bercer le public de démocratisation du crédit, par le morcellement des valeurs mobilières, la répartition des titres négociables entre des millions de propriétaires : on sait ce que c’est que l’actionnaire, la vache à lait du financier. Quand une compagnie parle de dédoubler ses actions, c’est qu’elle a absorbé tout le disponible dans une certaine classe de fortunes, et qu’elle éprouve le besoin d’aller faire le vide dans les plus petites bourses.

Depuis six ans il s’est édifié des fortunes de dix, quinze,