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dirent ensemble contre ceux de Paris une dizaine de millions. Il s’ensuivit de graves sinistres commerciaux et la liquidation de plusieurs maisons de banque de la localité.

À défaut de mesures répressives contre de pareilles manœuvres, le substitut du procureur impérial, M. Pinard, crut devoir au moins prononcer quelques paroles sévères :

« On nous a donné la liste des grandes entreprises que le Crédit mobilier avait fait naître, soit. On nous a parlé de ses services industriels, soit encore. Mais, au milieu de la fièvre de l’époque, au milieu de cet amour effréné du jeu et de ces luttes éperdues, est-ce que le Crédit mobilier n’a pas de reproches à se faire ? Cette fièvre, l’a-t-il calmée ou l’a-t-il excitée ? Ces entraînements, ne les a-t-il pas doublés ? Est-ce qu’en multipliant les entreprises au delà des forces de la place, en les jetant à l’avidité des joueurs avec ces certitudes de primes énormes doublées par la spéculation de tous, en escomptant l’avenir au profit du présent, il n’a pas créé, avec d’autres qui doivent partager sa responsabilité, de sérieux périls pour la morale publique et les intérêts matériels eux-mêmes ?Les reports, sous l’action d’une situation si tendue, ne sont-ils pas devenus la loi normale de la place ?

« Ne faut-il pas à chaque liquidation 30 ou 40 millions de reports pour sauver les joueurs en les excitant ? Et le jour où ce moyen périlleux de vivre et de marcher manquerait un instant, le jour où l’arc trop tendu se briserait, que de pertes, que de deuils de familles, que de morts et de blessés, puisqu’un des administrateurs du Crédit mobilier lui-même est tombé récemment sur le champ de bataille ! Voilà le bilan moral et financier que vous oubliez, et que la parole impartiale du ministère public doit jeter dans la balance du passif, quand on vante sans réserve les merveilles de vos opérations. »

Les directeurs du Crédit mobilier, les premiers et les plus riches financiers de France, avec un capital de 60 millions et une centaine de millions de comptes courants annuels, semblent défier toute concurrence. De fait, il n’y a que revers à qui joue contre eux. Mais il est possible de glaner où ils moissonnent. C’est ce qu’ont pensé MM. Mirès, Vergniolle et Amail, en créant, le premier la Caisse générale des Chemins de fer, le second, la Caisse centrale de l’Industrie, le troisième, la Caisse générale des Actionnaires.