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tres, qui livraient immédiatement à la publicité un événement aussi grave, dont ils pouvaient tirer de merveilleux profits en le divulguant seulement quelques heures plus tard. Cette admiration n’était point de l’ironie, mais de la naïveté : elle donne la mesure de l’honnêteté des admirateurs et de ce qu’ils eussent fait s’ils avaient été au pouvoir. C’est la honte d’un pays que son gouvernement reçoive de pareils éloges.

Rappellerons-nous la concession des mines de Gouhenans et la condamnation de MM. Teste, Despans-Cubières et Pellaprat ? Le financier de l’entreprise disait avec une candeur piteuse, en parlant des pairs qui les avaient condamnés : « Mais ces gens-là n’ont donc jamais fait d’affaires ! » Il avait cent fois raison. Le procès Teste et Cubières ne fut qu’une satisfaction donnée à l’esprit révolutionnaire par le gouvernement bourgeois.

Dans une société fondée sur le principe de l’inégalité des conditions, le gouvernement, quel qu’il soit, féodal, théocratique, bourgeois, impérial, se réduit, en dernière analyse, à un système d’assurance de la classe qui exploite et possède contre celle qui est exploitée et ne possède rien.

Or, les hommes chargés d’exercer un tel pouvoir, qui sont-ils ? De grands propriétaires, naturellement, de grands spéculateurs, des capitalistes, des financiers, de gros industriels, des entrepreneurs de travaux publics, des fournisseurs du gouvernement, des concessionnaires de l’État, des administrateurs-fondateurs de toutes les compagnies anonymes.

Aucune loi n’a déclaré ces fonctions et celle de ministre incompatibles. Loin de là, les chefs de l’aristocratie sont les prédestinés du ministère : l’inverse impliquerait contradiction. De tout temps les fonctions publiques ont été regardées comme la récompense de la capacité, du génie, du patriotisme, c’est-à-dire comme une occasion de faire fortune : la seule vertu qu’on demande, en cette occasion, à un ministre, est d’en user avec modération, discrétion. La Révolution, il est vrai, aspire à changer ce régime, parfaitement honorable sous nos anciens rois, témoin Colbert : elle ne peut pas se vanter jusqu’ici d’y avoir mis fin. C’est la démocratie qui a condamné M. Teste : or, la démocratie, qu’elle