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laissa pas moins de 12 millions et demi de francs à sa mort (1724). Ses premières opérations se portèrent sur les bons avec lesquels on payait les marins du temps de Charles II. Après plusieurs années de cruelles privations et de travaux plus grands encore, les défenseurs de la patrie recevaient leur solde en papier, non remboursable à la volonté des porteurs. Les marins trop souvent imprévoyants, étaient contraints d’abandonner ces gages incertains de leur paye aux usuriers qui les leur escomptaient au taux fixé par leur seule conscience. Des hommes qui avaient fait le tour du monde, comme Drake, ou qui avaient combattu corps à corps avec Tromp, étaient fort inhabiles à lutter contre les agents rusés des usuriers qui les attiraient dans les ignobles repaires de Rotherhite, et achetaient leurs bons au plus bas prix possible. C’est ainsi que d’excellents matelots, la gloire de la marine anglaise, étaient volés, ruinés et contraints à porter leurs services chez des nations étrangères. C’est à l’achat de ces bons que Thomas Guy s’attacha d’abord, et c’est sur le préjudice porté à nos braves matelots qu’il commença à établir la base de son immense fortune.

« Il mourut à l’âge de quatre-vingt-un ans, laissant par son testament 240,000 livres sterling (6 millions de fr.) à l’hôpital qui porte son nom. Son corps, qui reposait dans la chapelle des Merciers, fut transféré en grande pompe à l’hôpital Saint-Thomas, et le 13 février 1734, dix ans après sa mort, une statue fut élevée à sa mémoire, dans la cour de cet hospice qu’il avait édifié avec la paye si péniblement gagnée par les matelots anglais. » (Bourse de Londres.)

Shylock est naturellement l’entrepreneur de concessions, l’adjudicataire d’emprunts, le patron de tout ce qui offre de gros profits. Son rôle n’est pas difficile, car, dit le proverbe, l’eau va toujours à la rivière. S’il avise de spéculer sur les marchandises, ce n’est pas à moins de l’accaparement de toute une nature de produits : hier le mercure, le lin ; aujourd’hui le cuivre, le trois-six ; demain le plomb, les sucres.

Le gouvernement décrète un emprunt 3 0/0 et appelle les capitalistes à soumissionner. Shylock se présente ; il devient adjudicataire au taux de 75 fr. 25 c. Ce même jour le 3 0/0 monte à 77. Il vend aux spéculateurs son privilége de verser l’emprunt, et sans sortir de sa caisse autre chose que le cautionnement dont on lui paye l’intérêt, il gagne en quelques heures 15 millions.