Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pés d’une manière indigne, sans que la fraude puisse être imputée directement à personne. » (Revue Britannique, février 1856.)

Que disons-nous autre chose ? Nous admettons avec l’écrivain anglais, que les individus nécessiteux, prudents ou habiles, à l’instigation, sous le patronage, et au profit desquels se produisent ces fraudes colossales, ne sont peut-être pas, sous le rapport de la moralité, au-dessous de la moyenne générale.

Nous soutenons seulement qu’en raison de l’élément aléatoire qui domine dans toutes les transactions, et qu’aucun principe de droit public n’est de force à conjurer, les œuvres de tous ces hommes sont mauvaises, leur conscience véreuse, leurs spéculations immorales ; et nous ajoutons que si une distinction doit être faite parmi eux, ce ne sera pas à coup sûr en faveur des sophistes qui essayent, par de vaines déclamations, de légitimer ce que la conscience universelle réprouve.

Après les prudents les habiles.

Toute spéculation, industrielle, commerciale, financière, repose sur un calcul de probabilités. Dans un régime d’antagonisme, où les pensées, pas plus que les intérêts, ne se garantissent les unes les autres, nul ne peut être contraint de faire part aux autres de ses prévisions : voilà le droit.

Mais qui distinguera les prévisions légitimes des illégitimes ? qui préviendra l’abus des confidences et des secrets d’État ? qui osera dire devant la correctionnelle : La connaissance de tel fait, de telle résolution, devait être rendue publique, car elle appartenait à tout le monde, elle créait un cas de force majeure dont personne n’avait le droit de se prévaloir ?

L’introduction de pareils principes dans le droit civil impliquerait une révolution, la révolution de la mutualité. Nous restons donc, par horreur de la justice révolutionnaire, dans l’anarchie immémoriale, où s’escriment à armes inégales la médiocrité avide et aveugle, le capitalisme clairvoyant et l’habileté escroqueuse.

Les habiles sont en quelque sorte la bohême de la Bourse. Avec un mince capital, voire même sans capital aucun, ils spéculent tous les jours, vendent et achètent quand même.