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La Société du Palais de l’Industrie n’a pu se constituer, le monument n’a pu se construire qu’à la condition que le gouvernement garantît un intérêt annuel de 4 0/0 du capital engagé dans l’entreprise. Personne n’a jamais cru, en effet, qu’une construction colossale, du coût de 17 millions, impropre à tout autre usage qu’aux expositions, c’est-à-dire susceptible de produire tous les cinq ans quelques profits très-incertains, fût une affaire industrielle. L’État faisait appel, sous forme d’emprunt indirect, aux capitaux privés, pour l’érection d’un édifice tenant du luxe beaucoup plus que de l’utile. En réalité, les actions du Palais étaient une sorte de 4 0/0, et elles n’ont jamais touché que l’intérêt garanti par le Trésor. Or, dès leur émission, les actions de 100 fr. au pair faisaient 30 fr. de prime ; en 1854, le monument n’étant pas encore achevé, elles se cotaient 170 fr. ; elles ont monté jusqu’à 176 ; c’est-à-dire que pendant que le 4 1/2, mieux garanti, était à 92, la foule stupide et vorace se ruait sur le 4 0/0 à 176, retombé aujourd’hui à 70.

On prévoit déjà, d’après ces faits, que la position des joueurs n’est pas égale, ce qui ajoute singulièrement à l’immoralité du jeu ; mais ici, comme sur la question même de l’agiotage, les données sont telles qu’il est impossible de formuler, à priori, une condamnation, à moins de se placer hors du régime que l’économie anarchique, légale, nous a fait, et qu’il s’agit pour elle de défendre.

En effet, si le marché aléatoire, mais reposant sur une donnée réelle, ayant un objet réel, est permis ; et si le jeu, un jeu effréné, en est la conséquence, fera-t-on un crime au spéculateur assorti de capitaux, à qui une position inexpugnable permet d’attaquer à son gré ou de garder l’expectative ; lui fera-t-on un crime de profiter des écarts que l’emportement des joueurs ne manque jamais de produire sur le marché, de combiner le ferme avec la prime, le comptant avec le fin courant ?

Le public de la Bourse, de même que le monde de la production, se divise donc en deux catégories : l’une, de beaucoup la plus nombreuse, est celle des exploités ; l’autre celle des exploiteurs.