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Comme il devait arriver au corrupteur de tous les principes, Louis-Philippe fut le plus haï, le plus méprisé de tous les princes, d’autant plus méprisé, d’autant plus haï, qu’il eut une plus haute intelligence de son mandat.

Louis XIV régna par l’idolâtrie de sa personne ; César et Bonaparte, par l’admiration ; Sylla et Robespierre, par la terreur ; les Bourbons, par la réaction de l’Europe contre la conquête impériale.

Louis-Philippe est le premier, le seul qui ait régné par le mépris.

Est-ce que Casimir Périer estimait Louis-Philippe ? Et Lafayette, et Laffitte, et Dupont (de l’Eure), l’aimaient-ils ? Je ne parle pas des Talleyrand, des Thiers, des Dupin, des Guizot, ni de tous les autres qui avaient été ou qui voulaient être ses ministres ; ils ressemblaient trop au patron pour avoir une haute opinion de lui. Mais vit-on jamais, par exemple, les académiciens, dans leurs séances, faire l’éloge de Louis-Philippe, comme ils célébraient la gloire du grand roi et du grand empereur ? Vit-on, au théâtre, les acteurs le complimenter ; les prêtres, à l’église, le prêcher ; les magistrats le célébrer dans leurs mercuriales ?... Et pourtant ces hommes, dont les plus honorables étaient au fond du cœur de sincères républicains, s’étaient réunis pour porter sur le pavois Louis-Philippe ; et, tout en le maudissant, ils s’obstinaient à le soutenir. Lafayette avait dit de lui : C’est la meilleure des Républiques ! Laffitte lui sacrifia sa fortune, Odilon Barrot sa popularité, MM. Thiers et Guizot leurs plus intimes convictions. Dupont (de l’Eure) demanda pour lui une liste civile de 18 millions ; Casimir Périer se fit tuer sur la brèche, emportant dans la tombe l’exécration des républicains et des Polonais. Me direz-vous la raison de tant de dévouement uni à tant de haine ?

Comme au 18 brumaire, pour assurer la révolution chancelante, il avait fallu un homme ; de même, en 1830, pour