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lutionnaire, c’est précisément ce que l’on pouvait regarder comme le plus capable de la perdre : la modération propre à la nation française, l’esprit de juste-milieu qui la distingue, le besoin de stablilé qui est en elle, l’horreur de l’agitation dont elle a de tout temps fait preuve !...

Ceci paraîtra sans doute, suivant la disposition des lecteurs, paradoxal, contraire aux faits, flatteur ou désobligeant pour l’amour-propre français. On me permettra donc de donner à ma pensée quelque développement. Après avoir fait ma confession révolutionnaire, j’ai peut-être acquis le droit de faire celle de mon pays. Je n’abuserai pas de la permission : Turpitudinem patris tui et matris tuœ non revelabis !


I.


Les historiens en ont fait la remarque, et ce fait est un des plus intéressants des annales de l’humanité : depuis dix-huit siècles, la nation gallo-franque a exercé presque constamment une sorte de dictature morale sur les destinées des peuples et la marche de la civilisation.

C’est nous qui, les premiers parmi les nations vaincues, fîmes fléchir la domination romaine en arrachant aux Césars concessions sur concessions, et les forçant d’associer à l’empire la nationalité gauloise. Après la chute de l’empire et la prise de possession des barbares, c’est dans la Gaule septentrionale, sur la Meuse et le Rhin, que se fixe le centre politique de l’Occident. De Clovis à Louis-le-Débonnaire, le royaume-empire des Francs, toujours ramené à l’unité par l’influence des municipes et des évêques, embrasse la meilleure partie de l’Europe. C’est en France qu’est née la féodalité, régime préparatoire ; puis, qu’elle a été attaquée, et définitivement vaincue. C’est la France qui, par ses rois Pépin et Charlemagne, opéra la centralisation catholique,