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l’Assemblée constituante, et la fameuse proposition Râteau ? Comment ce qui venait confirmer mes prévisions me fit-il perdre le calme ? À quoi bon des invectives envers un homme qui, instrument de la fatalité, méritait après tout, pour sa diligence, des applaudissements ?

Je savais à merveille que le gouvernement est de sa nature contre-révolutionnaire ; ou il résiste, ou il opprime, ou il corrompt, ou il sévit. Le gouvernement ne sait, ne peut, ne voudra jamais autre chose. Mettez un saint Vincent de Paul au pouvoir : il y sera Guizot ou Talleyrand. Sans remonter au delà de Février, le gouvernement provisoire, la Commission exécutive, le général Cavaignac, tous les républicains, tous les socialistes qui avaient passé aux affaires, n’avaient-ils pas fait, qui de la dictature, qui de la réaction ? Comment Louis Bonaparte n’eût-il point marché sur leurs traces ? Était-ce sa faute à lui ? Ses intentions n’étaient-elles pas pures ? Ses idées connues n’étaient-elles pas une protestation contre sa politique ? Pourquoi donc cette fureur d’accusation, qui n’allait à rien de moins qu’à incriminer le destin ? La responsabilité que je faisais peser sur Louis Bonaparte était à contre-sens ; et, à force de l’accuser de réaction, j’étais moi-même, en voulant l’empêcher, réactionnaire.

Je n’ignorais pas davantage, et qui jamais le sut mieux que moi ? que si le Président de la République, aux termes exprès de vingt articles de la Constitution, n’était que l’agent et le subordonné de l’Assemblée, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, il était son égal et fatalement son antagoniste. Il était donc impossible qu’il n’y eût pas dans le gouvernement conflit d’attributions, rivalités de prérogatives, tiraillements réciproques, accusations mutuelles, par conséquent, dissolution imminente de l’autorité. La proposition Râteau, ou toute autre semblable, devait jaillir du dualisme constitutionnel aussi infailliblement