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tuition qu’il a de son rôle, n’a pas su encore expliquer philosophiquement ce qu’il représente, ce qu’il est. Je déclare, pour ce qui me regarde, que l’opposition que je lui ai faite avant et depuis son élection n’a pas eu d’autre cause que cette ignorance involontaire où je suis demeuré si longtemps. Ce que je ne devine pas est ce que je hais le plus au monde : j’aurais tué le Sphynx, comme Œdipe, ou je me serais fait dévorer. — Que m’avait fait Louis Bonaparte ? nulle offense. Au contraire, il m’avait prévenu, et si je ne considère que nos relations d’une heure, en fait de politesse je suis son redevable. Et pourtant, à peine fut-il question de cette candidature, que, cherchant le mot de l’énigme et ne le trouvant pas, je sentis que cet homme, malgré la gloire de son nom, me devenait antipathique, m’était hostile. En tout autre temps, j’aurais plaint ce jeune homme, revenant, après trente années d’exil, dans une patrie inconnue, et faisant au peuple, sur l’hypothèque de son élection, des promesses de bonne foi sans doute, mais aussi chimériques que celles du Luxembourg et de l’Hôtel-de-Ville. Mais après février, après juin, après le 4 novembre, Louis Bonaparte tombant au milieu de cette ronde de damnés que faisaient, autour de la présidence, légitimistes, orléanistes, républicains classiques, jacobins et socialistes ! cela me parut tellement merveilleux, incompréhensible, que je ne pus y voir, ainsi que M. Thiers, qu’une honte de plus pour mon pays.

Laissons l’homme de côté : il ne s’agit point ici du fils d’Hortense, mais du pays qui l’a pris pour signe. Quoi ! disais-je, voilà celui que la France, cette soi-disant reine des peuples, conduite par ses prêtres, par ses romanciers et ses roués, s’en est allée choisir pour chef, sur la foi de son nom, comme un chaland qui prend une marchandise sur l’étiquette d’un sac ! Par respect pour ce titre de républicains, que nous avons indignement usurpé ; par égard