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sorte que celle qui, une année, se trouverait en souffrance, fût secourue par celle qui aurait prospéré. Un grand capital serait ainsi formé, lequel n’appartiendrait à personne en particulier, mais appartiendrait à tous collectivement.

La répartition de ce capital de la société entière serait confiée à un conseil d’administration placé au sommet de tous les ateliers. Dans ses mains seraient réunies les rênes de toutes les industries, comme dans la main d’un ingénieur nommé par l’État serait remise la direction de chaque industrie particulière.

Contradictions sur contradictions ! Après nous avoir entretenu de bénéfices, Louis Blanc nous parle de fonds de réserve : encore une idée empruntée à l’économie domestique, mais qui s’évanouit dans l’économie sociale.

Le fonds de réserve est cette partie de l’avoir du producteur qui n’est ni produit, ni instrument de production, ni richesse mobilière, ou immobilière, mais capital libre ou réalisé, c’est-à-dire argent. Or l’argent n’est pas une richesse pour la société : c’est tout simplement un moyen de circulation, qui pourrait très avantageusement être remplacé par du papier, par une substance de valeur nulle. Il suit de là que, dans la société, l’argent ne peut devenir fonds de réserve ; que dis-je ? il n’y a pas de fonds de réserve pour une société. Tout est machine ou marchandise, instrument de production ou objet de consommation. Une réserve sociale ! bon Dieu ! c’est un reste dans une équation.

Quant au conseil d’administration, chargé de faire la répartition du fonds de réserve de la société, c’est la plus réjouissante plaisanterie qui soit jamais venue à la tête d’un utopiste. La réserve de la société se compose de tous les produits fabriqués d’avance par chaque industrie, et qui attendent en magasins le consommateur. La distribution de ce fonds de réserve n’est pas autre chose que la circulation, l’échange des produits contre les produits. — Il est des époques où l’espèce humaine, hébétée, ne peut être ramenée au sens commun que par les plus grosses platitudes. Nous sommes à l’une de ces époques-là.