Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce n’est pas ainsi, il faut bien le dire, que le socialisme s’entend ailleurs.

Louis Blanc attendait, pour agir, qu’il fût gouvernement, ou tout au moins ministre du progrès : il avait besoin, comme il l’écrit lui-même, d’une autorité dictatoriale pour faire le bien.

Considérant et ses amis sollicitent depuis vingt ans un crédit de quatre millions et une lieue carrée de terrain pour organiser la commune-modèle : ils se refusent à opérer sur le monde actuel, ils n’en peuvent rien tirer, ils font de lui table rase. En sorte que, si la commune-modèle réussissait, il faudrait que le genre humain tout entier fît son déménagement : ce qui serait, il faut l’avouer, une révolution sans exemple dans les fastes de l’humanité, à qui cependant n’ont pas manqué les innovations et les métamorphoses. Que dis-je ? quatre millions et une lieue carrée de terrain ne suffisent point encore pour la fondation du phalanstère : il faut choisir, trier, dans la jeune génération, une colonie de quatre à cinq cents enfants, qui n’aient reçu de la société civilisée aucune empreinte funeste. Le fouriérisme a besoin, pour s’expérimenter, d’âmes vierges qu’il lui soit loisible de pétrir à sa guise ; quant aux vieux adeptes, dépravés par la civilisation, ils n’ont pas assez de foi en eux-mêmes, ils n’oseraient se prendre pour composer leur personnel d’essai.

Enfin le communisme a tout à fait désespéré du pays. Comme si le socialisme, né en France, ne devait pas avant tout s’appliquer à la France, l’auteur d’Icarie a fait scission avec l’ancien-monde ; il est allé planter sa tente auprès des Peaux-Rouges, sur les bords du Mississipi.

Cette ignorance du but et cette contradiction des moyens, qui se retrouvent chez la plupart des utopistes, est le signe non équivoque de l’impraticabilité des théories comme de l’impuissance des réformateurs. Quoi ! vous voulez rendre les hommes plus libres, plus sages, plus beaux et plus forts,