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en saisissant, avec le gouvernail politique, le gouvernail économique.

Ainsi, la Montagne, toujours guettant le pouvoir, reprenait à la fois en sous-œuvre les idées de Robespierre, de Babœuf, de Louis Blanc ; elle proclamait, plus haut qu’on n’avait fait avant elle, la nécessité d’imposer par en haut la Révolution, et quelle Révolution ? au lieu de la proposer, comme je le voulais, par en bas.

Ce n’est pas moi qui pouvais être dupe de ce revirement, dont personne ne découvrait alors les contradictions doctrinales, et que je déplorais de toute mon âme, pour l’avenir de la Montagne non moins que pour celui de la Révolution. Le socialisme de l’extrême gauche n’était, à mes yeux, qu’une fantasmagorie dont je reconnaissais toute la sincérité, mais dont j’estimais la valeur à néant. On allait, selon moi, provoquer une recrudescence de la réaction, en recommençant sur une plus grande échelle les tentatives du 17 mars, du 16 avril, du 15 mai. Après avoir trois fois échoué dans ses tentatives, le parti néo-jacobin s’apprêtait à engloutir avec lui, dans une dernière déroute, le socialisme. La conversion des montagnards n’avait pas, à mes yeux, d’autre signification.

Une divergence aussi radicale de principes et de vues ne pouvait manquer de se traduire en une guerre de plume, et bientôt en une rivalité de partis. C’était certes le moindre des inconvénients : et j’étais homme à braver, s’il était besoin, la colère aveugle des montagnards, comme les malédictions beaucoup plus consciencieuses des malthusiens.

Mais de sérieuses considérations me retenaient.

Le parti montagnard apportait au socialisme une force immense. Était-il politique de la repousser ?

En se déclarant socialiste, il s’engageait irrévocablement, il engageait avec lui une portion notable de la République. Il répondait d’ailleurs au vœu du peuple, qui avait proclamé