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cialisme que la mitraille, le poison et les noyades. Il faut, si l’on persiste à demeurer dans l’ancien état de choses, ou compter avec la classe ouvrière, c’est-à-dire lui voter son budget, à prélever exclusivement sur le revenu, sur le plus pur de la propriété ; il faut lui créer toute une administration, lui faire sa part dans l’État, la reconnaître comme pouvoir nouveau dans la Constitution ; ou bien organiser, suivant la loi de Malthus, la suppression des bouches inutiles. Pas de milieu à cela : le suffrage universel, désormais indestructible, est une contradiction à la subordination du travail au capital. Sortez du principe mutuelliste, de la révolution par le concours et la solidarité des citoyens, vous n’avez plus, sous une démocratie inéluctable, d’autre alternative que celle-ci : la taxe du prolétariat, ou le meurtre du pauvre ; le partage du revenu, ou la jacquerie.

À dater aussi du 31 juillet, je devins, suivant l’expression d’un journaliste, l’homme-terreur. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu d’exemple d’un tel déchaînement. J’ai été prêché, joué, chansonné, placardé, biographié, caricaturé, blâmé, outragé, maudit ; j’ai été signalé au mépris et à la haine, livré à la justice par mes collègues, accusé, jugé, condamné par ceux qui m’avaient donné mandat, suspect à mes amis politiques, espionné par mes collaborateurs, dénoncé par mes adhérents, renié par mes co-religionnaires. Les dévots m’ont menacé, dans des lettres anonymes, de la colère de Dieu ; les femmes pieuses m’ont envoyé des médailles bénites ; les prostituées et les forçats m’ont adressé des félicitations dont l’ironie obscène témoignait des égarements de l’opinion. Des pétitions sont parvenues à l’Assemblée nationale pour demander mon expulsion comme indigne[1]. Lorsque Dieu permit à Satan de tourmenter

  1. Dans un ouvrage signé Donoso-Cortès, marquis de Valdagamas, ambassadeur d’Espagne, et publié par la Bibliothèque catholique, sous la direction de M. Louis Veuillot, je suis représenté comme possédé du démon, presque comme le démon. « Jamais mortel n’a péché aussi gravement contre l’humanité et contre le Saint-Esprit. Lorsque cette corde de son cœur résonne, c’est toujours avec un son éloquent et vigoureux. Non, ce n’est pas lui qui parle alors, c’est un autre qui est lui, qui le tient, qui le possède et qui le jette haletant dans ses convulsions épileptiques ; c’est un autre qui est plus que lui, et qui entretient avec lui une conversation perpétuelle. Ce qu’il dit parfois est si étrange, et il le dit d’une si étrange manière, que l’esprit demeure en suspens, ne sachant si c’est un homme qui parle, ou si c’est un démon ; s’il parle sérieusement, ou s’il se moque. Quant à lui, si par sa volonté il pouvait ordonner les choses à son désir, il préférerait être tenu pour un démon à être tenu pour un homme. Homme ou démon, ce qu’il y a de certain ici, c’est que sur ses épaules pèsent d’un poids écrasant trois siècles réprouvés. » (Essai sur le Catholicisme, le Libéralisme et le Socialisme.)
    …...Que mes lecteurs se rassurent, et ne craignent pas en me lisant de respirer une odeur infernale. Ce que M. Donoso-Cortès dit de moi est mot pour mot ce que les jésuites de Jérusalem disaient de Jésus, il y a de cela près de 1.900 ans : Il a le diable au corps ! Dœmonium habet ! Après les Juifs, les Païens se servirent du même argument pour martyriser les premiers chrétiens, l’Église pour brûler les hérétiques et les sorciers. M. Donoso-Cortès, qui n’est pas moins, à ce qu’il paraît, de sa religion que de son pays, ne pouvait manquer de suivre ces exemples. Autant qu’il est en lui, il me passe la chemise souffrée, il me couvre du san-benito, et au prochain auto-da-fé, il criera au bourreau : Allume !