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soit avec les faits, soit avec l’opinion du jour, soit avec lui-même.

J’ai cru un moment, après l’élection du 10 décembre, que M. de Girardin, arrivant avec son protégé aux affaires, allait nous donner une démonstration éclatante de sa théorie gouvernementale, qui, au fond, n’est que la théorie communautaire. Pourquoi Louis Bonaparte n’a-t-il pas fait ministre des finances M. de Girardin ? La révolution eût été commencée par haut ; M. de Girardin aurait accompli ce que voulaient Blanqui, Barbès, Louis Blanc, ce que supposaient les ateliers nationaux. Pourquoi, dis-je, aujourd’hui encore plus que sous le ministère de M. Guizot, M. de Girardin se retrouve-t-il l’antagoniste du pouvoir ? Hélas ! c’est que M. de Girardin est un homme à idées révolutionnaires, et que MM. Thiers, Barrot, Falloux, Changarnier, etc., ne veulent pas plus de la révolution pour le gouvernement du 20 décembre, que le Gouvernement provisoire et la Commission exécutive n’en avaient voulu pour eux-mêmes, que Louis-Philippe et Charles X n’en avaient voulu. C’est que le bourgeois, pas plus que le paysan et l’ouvrier, n’entend qu’on le révolutionne[1].

Quand je songe à tout ce que j’ai dit, écrit, publié, depuis dix ans sur le rôle de l’État dans la société, sur la subordination du pouvoir et l’incapacité révolutionnaire du gouvernement, je suis tenté de croire que mon élection, en juin 1848, a été l’effet d’une méprise de la part du peuple. Ces idées datent en moi de l’époque de mes premières méditations ; elles sont contemporaines de ma vocation au So-

  1. Depuis la publication des Confessions, les idées de M. de Girardin paraissent s’être profondément modifiées. S’attachant chaque jour davantage à la théorie de la liberté illimitée, il oublie peu à peu le pouvoir ; déjà même il s’est rencontré avec MM. Ledru-Rollin et Considérant sur un terrain voisin de l’anarchie. Le jour n’est pas loin, peut-être, où toutes les forces de la Démocratie se trouveront réunies sous la même profession de foi anti-politique. — (Juillet 1851).