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La création, considérée dans ses manifestations spirituelles, se produit en un double essor, l’instinct et la raison. Ce qui caractérise l’instinct, c’est la promptitude, l’intuition, la spontanéité, l’infaillibilité ; ce qui distingue la raison, est la mémoire, la réflexion, l’imagination, le raisonnement, l’erreur ou vagabondage de la pensée, le progrès. Le premier est à proprement parler la forme de l’intelligence dans la nature ; la seconde est la forme de l’intelligence dans l’homme.

C’est dans la société humaine que l’instinct et la raison, se manifestant parallèlement, s’élèvent à la fois au plus haut degré. L’Humanité et la Divinité, dans la Personne sociale, sont unies, mais d’abord antagoniques. Les manifestations de l’instinct constituent le gouvernement de Dieu ou de la providence ; les manifestations de la philosophie, le règne de la liberté. Les religions, les empires, les poésies et les monuments anciens, sont des créations de la spontanéité sociale, que la raison révise et rajeunit indéfiniment.

Mais, dans la société et dans l’individu, la raison gagne toujours sur l’instinct, la réflexion sur la spontanéité : c’est là le propre de notre espèce et qui constitue en nous le progrès. Il suit de là que la Nature en nous semble reculer, tandis que la Raison arrive ; en autres termes, Dieu s’en va, l’Humanité vient.

L’Homme s’est d’abord adoré lui-même comme Dieu ou Nature ; il a commencé en Jésus-Christ à s’adorer comme Humanité. Le mouvement religieux est allé du ciel à la terre : mais la liberté doit abolir peu à peu toute idolâtrie, et l’homme, en s’affirmant de plus en plus à la place de Dieu, s’adorer d’autant moins qu’il se connaîtra davantage.

Qu’on rejette cette philosophie, je ne le trouve point du tout mauvais : qu’est-ce que cela me fait ? Tiens-je donc si fort à avoir des disciples ? Mais qu’on en fasse, sous prétexte d’athéisme, un moyen de contre-révolution, c’est ce que je