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geoisie, et sans utilité pour le peuple. C’est ce que je me disais tous les jours : je n’avais pas besoin pour cela des avertissements des utopistes, pas plus que des conservateurs.

Ici, la méthode qui avait servi pour construire, devenait impuissante pour édifier. Le procédé par lequel l’esprit affirme n’est pas le même que celui par lequel il nie : il fallait, avant de bâtir, sortir de la contradiction, et créer une méthode d’invention révolutionnaire, une philosophie, non plus négative, mais, pour emprunter le langage de M. Auguste Comte, positive. La société seule, l’être collectif, peut, sans crainte d’une erreur absolue et immédiate, suivre son instinct et s’abandonner à son libre arbitre ; la raison supérieure qui est en elle, et qui se dégage peu à peu par les manifestations de la multitude et la réflexion des individus, la ramène toujours au droit chemin. Mais le philosophe est incapable de découvrir par intuition la vérité ; et, si c’est la société elle-même qu’il se propose de diriger, il court risque de mettre ses vues propres, toujours fautives, à la place des lois éternelles de l’ordre, et de pousser la société aux abîmes.

Il lui faut un guide : or quel peut être ce guide, sinon la loi du développement, la logique immanente de l’humanité même ? En tenant d’une main le fil des idées, et de l’autre celui de l’histoire, je devais, me figurais-je, pénétrer la pensée intime de la société ; je devenais prophète, sans cesser d’être philosophe.

Me voilà donc commençant, sous le titre de Création de l’ordre dans l’humanité, une nouvelle suite d’études, les plus abstruses auxquelles puisse se livrer l’intelligence humaine, mais, dans la situation où je me trouvais, absolument indispensables. L’ouvrage que je publiai à cette occasion, bien que j’aie fort peu de chose à en rétracter, ne me satisfait point : aussi, malgré une seconde édition, me paraît-il avoir obtenu du public assez peu d’estime, et c’est