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d’action enfin, qui, avant de s’engager dans la carrière politique, seraient curieux de connaître où peut être conduit un esprit rigoureux par les démonstrations impartiales et les principes désintéressés de la science.

Je n’ai rien à dire de ma vie privée : elle ne regarde pas les autres. J’ai toujours eu peu de goût pour les auto-biographies, et ne m’intéresse aux affaires de qui que ce soit. L’histoire même et le roman n’ont d’attrait pour moi qu’autant que j’y retrouve, comme dans notre immortelle révolution, les aventures de l’idée.

Ma vie publique commence en 1837, en pleine corruption philippiste.

L’Académie de Besançon avait à décerner la pension triennale, léguée par M. Suard, secrétaire de l’Académie française, aux jeunes Franc-Comtois sans fortune qui se destinent à la carrière des lettres ou des sciences. Je me mis sur les rangs. Dans le Mémoire que j’adressai à l’Académie, et qui existe dans ses archives, je lui dis :

« Né et élevé au sein de la classe ouvrière, lui appartenant encore par le cœur et les affections, surtout par la communauté des souffrances et des vœux, ma plus grande joie, si j’obtenais les suffrages de l’Académie, serait de travailler sans relâche, par la philosophie et la science, avec toute l’énergie de ma volonté et toutes les puissances de mon esprit, à l’amélioration physique, morale et intellectuelle de ceux que je me plais à nommer mes frères et mes compagnons ; de pouvoir répandre parmi eux les semences d’une doctrine que je regarde comme la loi du monde moral, et, en attendant le succès de mes efforts, de me trouver déjà, messieurs, comme leur représentant vis-à-vis de vous. »

Ma protestation, comme l’on voit, date de loin. J’étais jeune encore, et plein de foi, quand je prononçai mes vœux. Mes concitoyens diront si j’y ai été fidèle. Mon socialisme a reçu le baptême d’une compagnie savante ; j’ai eu pour