Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la garde de Dieu. Tandis qu’une force aveugle entraîne le pouvoir dans un sens, ne saurions-nous faire avancer la société dans un autre ? La direction des esprits étant changée, il en résulterait que le gouvernement, continuant à faire de la réaction, ferait alors, sans s’en douter, de la révolution... Et de ma banquette de spectateur, je me précipitai, nouvel acteur, sur le théâtre.

Mon nom depuis dix-huit mois a fait assez de bruit pour que l’on me pardonne d’apporter ici quelques explications, quelques excuses à ma triste célébrité. Bonne ou mauvaise, j’ai eu ma part d’influence sur les destinées de mon pays : qui sait ce que cette influence, plus puissante aujourd’hui par la compression même, peut encore produire ? Il importe donc que mes contemporains sachent ce que j’ai voulu, ce que j’ai fait, ce que je suis. Je ne me vante point : je serais seulement flatté que mes lecteurs restassent convaincus, après lecture, qu’il n’y a dans mon fait ni folie ni fureur. La seule vanité qui m’ait jamais tenu au cœur était de croire qu’aucun homme n’avait agi dans toute sa vie avec plus de préméditation, plus de réflexion, plus de discernement que je l’ai fait. Mais j’ai appris à mes dépens qu’aux instants mêmes où je me croyais le plus libre, je n’étais encore, dans le torrent des passions politiques auquel je prétendais donner une direction, qu’un instrument de cette immorale Providence que je nie, que je récuse[1]. Peut-être l’histoire de mes méditations, inséparable de celle de mes actes, ne sera-t-elle pas sans profit pour ceux qui, quelles que soient leurs opinions, aiment à chercher dans l’expérience la justification de leurs idées : pour les libres penseurs, qui ne reconnaissent d’autorité dans les choses humaines que celle de la pure raison ; pour les croyants, qui aiment à reposer leur conscience sur le doux oreiller de la foi ; pour les hommes

  1. Voir plus haut, § X, page 114.