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était tendu. Votre erreur fut d’exiger du pouvoir l’accomplissement d’une promesse qu’il ne pouvait tenir ; votre tort, de vous insurger contre la représentation nationale et le gouvernement de la République. Sans doute vos ennemis n’ont pas recueilli le fruit de leur intrigue ; sans doute votre martyre vous a grandis : vous êtes cent fois plus forts aujourd’hui que sous le premier état de siége, et vous pouvez rapporter à la justice de votre cause vos succès ultérieurs. Mais, il faut le reconnaître, puisque la victoire ne pouvait vous donner rien de plus que ce que vous possédiez déjà, la faculté de vous concerter pour la production et le débouché, la victoire était d’avance perdue pour vous. Vous étiez les soldats de la République, cela est vrai, et les républicains ne le comprirent pas ; mais les gardes nationaux étaient aussi les soldats de la République, les soldats du suffrage universel et de la liberté. N’accusez jamais de félonie toute une fraction, la plus considérable, du peuple ; ne conservez point de rancune pour ceux de vos frères trompés qui vous ont combattus. Que ceux-là seulement qui vous ont séduits par des utopies funestes se frappent la poitrine ; quant à ceux qui, dans ces jours de deuil, n’ont eu d’intelligence que pour exploiter votre misère, je souhaite qu’ils n’abusent jamais assez de leur pouvoir d’un moment pour attirer sur leurs têtes de trop justes représailles.

Pour moi, le souvenir des journées de juin pèsera éternellement comme un remords sur mon cœur. Je l’avoue avec douleur : jusqu’au 25 je n’ai rien prévu, rien connu, rien deviné. Élu depuis quinze jours représentant du peuple, j’étais entré à l’Assemblée nationale avec la timidité d’un enfant, avec l’ardeur d’une néophyte. Assidu, dès 9 heures, aux réunions des bureaux et des comités, je ne quittais l’Assemblée que le soir, épuisé de fatigue et de dégoût. Depuis que j’avais mis le pied sur le Sinaï parlementaire, j’avais cessé d’être en rapport avec les masses : à force de m’absorber dans mes travaux législatifs, j’avais entièrement perdu