Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les caractères se dégradent. La guerre et les malheurs qu’elle traîne à sa suite développent des vertus mâles et fortes : sans elle le courage, la patience, la fermeté, le dévouement, le mépris de la mort, disparaîtraient de dessus la terre. Les classes mêmes qui ne prennent aucune part aux combats apprennent à s’imposer des privations et à faire des sacrifices… Chez un peuple civilisé jusqu’à la corruption, il faut quelquefois que l’État entier périclite, pour que l’esprit public se réveille ; et c’est le cas de dire ce que Thémistocle disait aux Athéniens : « Nous périssions si nous n’eussions péri[1]. »


M. le comte Portalis, dans un mémoire adressé à l’Académie de Toulouse, s’exprime dans le même sens qu’Ancillon. Son opinion mérite d’être rapportée, précisément parce que l’auteur avait eu pour but, en écrivant, de combattre la théorie de de Maistre, touchant la providentialité et la divinité de la guerre :


« Résultat inévitable du jeu des passions humaines dans les rapports des nations entre elles, la guerre, dans les desseins de la Providence, est un agent puissant dont elle use, tantôt comme d’un instrument de dommage, tantôt comme d’un moyen réparateur. La guerre fonde successivement et renverse (comme le Jéhovah du Deutéronome), détruit et reconstruit successivement les états. Tour à tour féconde en calamités et en améliorations, retardant, interrompant ou accélérant les progrès ou le déclin, elle imprime à la civilisation qui naît, s’éclipse et renaît pour s’éclipser encore, ce mouvement fatidique, qui met alternativement en action toutes les puissances et les facultés de la nature humaine, par le-

  1. Tableau des révolutions du système politique en Europe, t. Ier, p. 33.