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Sans doute, et c’est encore un des arguments des partisans ineptes de la paix, la religion n’est pas nécessairement une religion de terreur, elle est aussi une religion d’amour. Il n’y a pas rien que le Dieu vengeur, il y a aussi le Dieu bienveillant, le bon Dieu. Le culte, qui a ses expiations, a aussi ses sacrifices de louanges, hostiam laudis, lesquels excluent, ce semble, toute pensée de guerre et de sacrifice humain.

Mais qui ne voit encore que toutes ces idées sont corrélatives, et se supposent invinciblement ? L’action de grâces est la même chose que le chant de triomphe, c’est la guerre. La grâce, ou le secours accordé d’en haut, implique la misère naturelle et sociale, la discorde des éléments, la division des consciences : toujours la guerre. C’est ainsi que la messe, le sacrifice de l’Homme-Dieu, qui commence par un acte de contrition, Asperges me, se termine par un acte de remerciment, Deo gratias. Sortez de ce cercle, vous tombez dans le vide : il n’y a point de religion, il n’y a point de civilisation, il n’y a point d’humanité.

Ainsi l’idée de guerre enveloppe, domine, régit, par la religion, l’universalité des rapports sociaux. Tout, dans l’histoire de l’humanité, la suppose. Rien ne s’explique sans elle ; rien n’existe qu’avec elle : qui sait la guerre, sait le tout du genre humain. Qu’une innocente philanthropie se demande par quels moyens la société triomphera de cette fureur parricide, elle en a le droit. La guerre est un sphinx que notre libre raison est appelée à métamorphoser, sinon à détruire.

Ce qui est certain, c’est que pour en finir avec la guerre, il faut d’abord l’avoir comprise ; c’est qu’on peut défier la philosophie de se passer d’elle, non-seulement pour l’explication des temps antérieurs et l’intelligence de l’époque actuelle, mais pour la pronostication même de l’avenir ;