Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par l’effet d’une superstition féroce, mais bien parce que la guerre a été conçue de tout temps comme la loi de l’Univers, loi qui se manifestait aux yeux des premiers humains, dans le ciel par l’orage et la foudre, sur la terre par l’antagonisme des tribus et des races ? La vie de l’homme est un combat, dit Job : militia est vita hominis super terram. Pourquoi ce combat ? C’est là, encore une fois, qu’est le mystère, le fait divin. Tout ce que les traditions, la symbolique des peuples, la spéculation des métaphysiciens et les fables épiques des poètes nous ont appris sur ce terrible sujet, c’est que l’humanité est divisée d’avec elle-même ; qu’en elle et dans la nature le Bien et le Mal, comme deux puissances ennemies, sont en lutte ; c’est, en un mot, que, jusqu’à la consommation finale, la guerre est la condition de toute créature.

De là, la religion ; de là, la théologie.

La guerre, abstraction faite même du dogme de la chute, est le fond de la religion. Elle existe entre les peuples, comme elle existe dans toute la nature et dans le cœur de l’homme. C’est l’orgasme de la vie universelle, qui agite et féconde le chaos, prélude à toutes les créations, et, comme le Christ rédempteur, triomphe de la mort par la mort même.

Otez de la pensée religieuse, ôtez du cœur humain cette idée de combat, non-seulement vous ne faites pas cesser le fléau destructeur, mais vous détruisez le système entier des religions ; vous abolissez, sans explication, sans critique, sans compensation, l’ordre d’idées dans lequel le genre humain, pendant plus de quarante siècles, a vécu, duquel il a vécu, hors duquel vous ne sauriez dire comment il aurait vécu. Vous niez, dis-je, la civilisation sous ses deux faces principales, la religion et la politique ; vous détruisez jusqu’à la possibilité de l’histoire. Quoi donc ! La guerre contient tant de choses, elle répond à tant de choses, elle se mêle à tant de choses,