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cupent des formalités : toutes choses qui sont à la guerre ce que la procédure, la police, les peines, sont à la justice, le rituel à la religion ; mais qui ne sont pas plus la guerre que les formules du droit ne sont le droit, ou les cérémonies du culte la religion. Personne encore n’a cherché à saisir la guerre dans sa pensée intime, dans sa raison, dans sa conscience, tranchons le mot, dans sa haute moralité. C’est là, cependant, c’est dans cette sphère de la pure raison et de la conscience qu’il faut étudier la guerre et en observer les péripéties, à peine de n’en savoir jamais le premier mot.

Les auteurs parlent, en balbutiant, du droit et des lois de la guerre. Mais qui les a lus sait que par ces mots, droit de la guerre, lois de la guerre, il faut entendre uniquement certaines restrictions apportées aux sévices, certaines réserves conventionnelles d’humanité, nullement un droit positif, propre à la force et émanant d’elle ; droit qui, manifesté et consacré par la victoire, s’imposerait à la conscience du vaincu au même titre que le jugement du tribunal civil s’impose à la conscience du plaideur débouté. Selon les juristes, le droit de la guerre, au sens littéral du mot, est une contradiction dans les termes, une fiction, un euphémisme, qu’il serait puéril, ridicule, absurde, de prendre au sérieux. En réalité, et d’après le témoignage de tous ceux qui en ont écrit, il n’y a pas de droit de la guerre, pas de pensée, pas de moralité dans les actes de la force : ce qui est évidemment réduire la guerre à des démonstrations matérielles, par conséquent lui refuser toute phénoménalité morale, toute spiritualité. Nous nous vantons, et à juste titre, de nos progrès : en ce qui concerne la guerre, nous sommes cent fois plus grossiers que ne l’étaient les barbares, pour qui du moins la guerre était la manifestation la plus haute de la justice et de la volonté des dieux.