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de cohésion cède à l’autre la prépondérance : mais c’est aux populations à se déclarer ; il n’appartient pas à l’agresseur d’en prendre l’initiative[1]. Semer la trahison parmi les sujets de l’État ennemi est la même chose qu’expédier à un chef d’État des machines infernales. Pour qu’une sollicitation de cette espèce put être, en droit, admise, il faudrait qu’elle s’exerçât au grand jour, qu’en vertu de la réciprocité chaque puissance eût la faculté d’agir sur l’opinion du peuple antagoniste, ce qui serait du moins un moyen permanent de consulter les peuples sur l’opportunité de la guerre et la légitimité des conquêtes.

  1. Il a été publié dans les journaux allemands que sur dix prisonniers faits par les Franco-Sardes dans la dernière guerre d’Italie, il y avait neuf Hongrois, Bohèmes, Croates et Italiens. En haine du gouvernement autrichien, ces soldats, travaillés par des émissaires, non pas, Il faut le dire, de l’armée alliée, mais de leur propre pays, se couchaient, dit-on, devant l’ennemi au lieu de marcher. Les Allemands seuls tinrent ferme, et soutinrent le choc de l’armée franco-italienne. On sait à combien peu de chose, en apparence du moins, tint le succès des batailles de Magenta et de Solférino. et l’on prend texte de là pour demander si, tout le monde du côté de François-Joseph ayant fait son devoir, et la victoire s’étant déclarée pour l’Autriche, le résultat devrait être toujours considéré comme normal et juste.
      Cette question, que l’on peut renouveler à l’infini à propos de chaque bataille, et que ne manquent pas de faire les calomniateurs du droit de la force, est une de celles qui, par un faux air de simplicité, servent le mieux a entretenir l’erreur. Un rien, se dit-on, pouvait changer la fortune : alors le vaincu devenait vainqueur ; le droit, adjugé par la victoire à B, revenait à A. É sempre bene ! Cela peut-il s’admettre ?
      Ceux qui font cette objection ne songent pas que dans toute bataille, quelque peu sérieuse, il y a un moment où la victoire paraît incertaine, sans parler des cas où elle s’égare, comme dans les fameuses batailles de Poitiers, de Crécy et d’Azincourt ; mais qu’en général, elle tient à des causes profondes, complexes, qui en font un irrécusable arbitrage ; que du reste, en toute question de force, le droit est avec la force, de quelque côté que celle-ci se trouve. Le droit de la force ne fait acception ni de partis, ni de doctrines, ni de races : il ne connaît ni Français, ni Anglais, ni Autrichien, ni Lombard, ni Polonais, ni Russe, ni catholique, ni protestant. Il est à la force : voilà tout. Si la force se déplace, il se déplace avec elle ; si elle se fixe quelque part, il s’y fixe lui-même, et