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qui, tout en s’en méfiant, se réservent de l’employer à l’occasion, attendu que, selon leur détestable maxime, la guerre a pour but, non, comme le veut le droit de la force, d’assurer aux moindres frais le droit du plus fort, mais de supplanter, s’il se peut, la force la plus grande par la plus petite. C’est parce qu’il était imbu de cette pensée que Napoléon réduisait l’art de la guerre à cette formule laconique, qui explique ses succès et ses revers : Se diviser pour vivre, et se concentrer pour combattre.

Quelle est donc ici la loi, la vraie loi de la guerre ? Voilà ce que je demande aux juristes, si les militaires ne le peuvent dire. Afin de faciliter le travail aux définisseurs, posons nous-même quelques jalons.

Le but de toute guerre s’exprime matériellement par la conquête, c’est-à-dire que le pays vaincu, ou une partie de ce pays, passe sous la loi du vainqueur. En ce sens, purement politique, il est vrai de dire que le territoire de l’ennemi, ses villes, ses forteresses, ses magasins, tout ce qui constitue sa force politique et militaire, passe à la puissance que la force a rendue victorieuse. Toutes ces choses sont donc de bonne prise ; et, comme la nation est solidaire de son gouvernement, on peut aller jusqu’à dire que le vainqueur a le droit, après la victoire, non-seulement de s’approprier le revenu de l’État envahi, mais d’y ajouter une surcharge, à titre de frais et indemnités. Jusque-là, je ne vois rien que n’autorise le droit de la force.

Mais l’expropriation des particuliers, le pillage des habitations, le dépouillement des églises, des musées, tout cela est-il de bonne guerre ? Je comprends la saisie des objets servant à la guerre : cela entraîne-t-il le vol et le sac des effets et hardes appartenant aux personnes ? J’admets une tolérance pour le fourrage des chevaux : s’étendra-t-elle jusqu’à la nourriture des hommes ?