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portée de ses paroles, le secret et la philosophie de l’épopée impériale. M. Thiers, comme s’il voulait appeler du jugement de la force rendu en dernier ressort contre Napoléon, repousse cette explication. Il accuse la mauvaise politique de l’empereur, l’immodération de ses désirs, l’exorbitance de son génie, l’abus qu’il fit des faveurs de la fortune ; il met en avant tous ces lieux communs de morale académique renouvelés des Grecs, tandis qu’il n’a que des applaudissements pour les combinaisons stratégiques de son héros.

Vraiment, quand je lis cette Histoire, d’ailleurs si intéressante, du Consulat et de l’Empire, mais dans laquelle tout est loué et blâmé à contre-sens, je suis tenté d’entreprendre l’apologie du premier Napoléon. Étant donné le système de guerre tel que Bonaparte l’avait reçu de ses devanciers, et qu’il lui fut donné de le perfectionner à son tour, plus une cause générale de guerre comme la Révolution, la politique de l’Empereur s’ensuivait nécessairement. A cet égard, j’ose dire que l’homme d’État a été, en Napoléon, moins reprochable que le général. Devenu l’épée de l’idée moderne, idée à laquelle l’empire du monde était promis, et pouvant, quand il regardait ses adversaires, se croire invincible, Napoléon devait aller toujours de l’avant, bien qu’il ne sût pas où il allait ; sa politique devait suivre sa tactique, non sa tactique être subordonnée à sa politique. Deux causes le poussaient, auxquelles il ne pouvait résister : d’un côté l’élan révolutionnaire, de l’autre la supériorité de ses armes. C’est ce qu’il comprit avec une souveraine intelligence, et ce qu’il exécuta, pendant un certain temps, avec un succès inouï. Ses succès le trompaient cependant : il devait à la fin périr, non qu’il raisonnât faux, mais parce que son point de départ, qui était la guerre conçue et faite d’une certaine manière, était erroné, d’autant plus erroné qu’en propageant autour de lui l’idée