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Certainement Bonaparte eut raison de battre comme il fit Beaulieu, Wurmser et Alvinzi, puisqu’ils s’y exposèrent. Je ne fais point un reproche au général français de ses victoires ; je dis que, par la manière dont il les gagna, elles ne pouvaient avoir la portée qu’il leur attribuait.

Je reconnais tout ce qu’il y eut de merveilleux, surtout d’héroïque, dans cette première campagne de Bonaparte ; je vais plus loin, je dis que la victoire fut ici pour la bonne cause : à Dieu ne plaise que je nie le droit de la Révolution. J’ajouterai même, en me renfermant dans les pures considérations de la guerre, que les généraux autrichiens, avec leur lourdeur, leur présomption, leur esprit de routine, ne méritaient pas de vaincre, et que, comme tout lecteur, j’ai constamment éprouvé, au récit de ces batailles, la joie que donne le spectacle de la sottise punie et de l’orgueil confondu. En est-il moins vrai que, dans la première campagne d’Italie, ce n’est pas précisément la force qui a vaincu, qu’en conséquence la conquête n’était pas solide, et que ce brillant début du plus jeune des généraux de la République fut la séduction qui perdit plus tard l’empereur ?

L’antiquité nous fournit un exemple, comparable sous plusieurs rapports à celui de Napoléon : c’est l’exemple d’Annibal.

Qu’on réfléchisse à ce qu’étaient Rome et Carthage au commencement de la seconde guerre punique : ou je me trompe fort, ou l’on reconnaîtra que la supériorité des forces était du côté de Rome. Il y a des capitaux, mais point de soldats à Carthage. L’armée avec laquelle Annibal envahit l’Italie se compose de Numides, d’Espagnols, de Gaulois, d’alliés défectionnaires des Romains ; il s’y trouve très-peu de Carthaginois. Cela ne dénote assurément pas une grande force nationale. La qualité de ces soldats de toute provenance est aussi d’une infériorité notoire, com-