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dans un semblable conflit, tous les moyens sont bons pourvu qu’ils réussissent, c’est, encore une fois, méconnaître la nature des choses, et mentir à la conscience du genre humain.

Oui, la guerre, comme toute poursuite ou action judiciaire, est soumise à des règles ; elle a ses formalités, en dehors desquelles tout ce qui se produit entre les combattants peut être argué de nullité ; en un mot, elle a son droit. Toute la pratique militaire des nations en témoigne ; il n’y a pas d’idée qui nous soit plus familière que celle d’une guerre dans les formes, pas d’expression qui, parmi les publicistes, revienne plus souvent. En sorte que la véritable question n’est plus de savoir si l’action guerrière doit être ou non gouvernée par des règles, mais si les règles généralement admises, et que les peuples civilisés se flattent unanimement de respecter, sont ce qu’elles doivent être, c’est-à-dire si elles répondent au principe de la guerre et à sa fin.

Ici, je ne puis m’empêcher de relever avec un surcroît d’énergie la déraison des publicistes. Comment, puisqu’ils nient en principe le droit de la force, que par conséquent ils regardent tous les actes de guerre comme radicalement nuls au point de vue de la justice, comment en acceptent-ils le code ? Comment souscrivent-ils à de telles lois ? Comment leur accordent-ils leur suffrage ? Grotius, réprouvant l’ordalie ou combat judiciaire, ne perd pas le temps a en discuter les règles : la même condamnation qui frappe le procédé en enveloppe les formes. Comment n’en use-t-il pas de même avec la guerre ? Par quelle complaisance, après avoir déploré la guerre comme anti-juridique de sa nature, en admet-il, au nom du droit, les pratiques soi-disant légales, des pratiques qui le plus souvent sont ce que la fureur et la barbarie peuvent suggérer de plus odieux ?