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notre conquête ; mais cette conquête, après trente ans comme après le premier jour, se réduit à une occupation militaire. Rien n’est d’une assimilation aussi difficile pour des civilisés que la barbarie et le désert. La France a dépensé, année moyenne, pour la conservation de ce trophée, cinquante millions et vingt-cinq mille hommes. Le gouvernement impérial s’en plaint comme autrefois le gouvernement de Louis-Philippe : à peine si le sol est entamé, et l’on n’a pas fait le moindre progrès sur l’esprit des indigènes.

On compilerait toutes les histoires, qu’on n’y trouverait pas un seul fait qui contredise cette théorie. Elle porte avec elle sa certitude. La guerre est le jugement de la force ; elle est la revendication par les armes du droit et des prérogatives de la force ; elle devient un contre-sens dès que, par un artifice quelconque, la victoire est obtenue sur la force. C’est pourquoi l’action guerrière ne finit pas au champ de bataille ; la conquête, qui est son objet naturel, n’est définitive que par l’assimilation du vaincu. Si cette condition n’est pas remplie, les victoires ne sont que d’odieuses dragonnades, et les conquérants d’exécrables charlatans tôt ou tard châtiés par la force dont ils abusent.

Le vulgaire, qui ne comprend rien à ces réactions de la force outragée, se paye des explications les plus ridicules. Il dit que la chance tourne, que la fortune inconstante abandonne ses favoris ; qu’à la guerre, comme à la loterie, on ne saurait gagner toujours, que le hasard malicieux se plaît à déjouer les combinaisons du génie, etc. Mêlez à tout cela un peu de fatalité ou de providentialisme, et vous aurez l’idée complète du genre. Les faiseurs de récits de guerre n’ont pas non plus d’autre philosophie. La sagesse, à les en croire, consisterait à s’arrêter à temps, comme le joueur habile qui, satisfait du gain obtenu, se retire au