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de mort contre les prisonniers grecs. — « N’accuse point, répondit Philoclès, des hommes qui n’ont point de juges ; vainqueur, traite les vaincus comme tu serais traité toi-même, si tu étais à notre place. »

M. Laurent, qui rapporte aussi ce fait, n’en a pas aperçu la haute moralité. Ce n’est pas la férocité de Philoclès qu’il faut admirer ici, mais son esprit de justice. Lysandre et les alliés prétendaient imputer à crime aux Athéniens les exécutions qu’ils s’étaient permises sur les prisonniers de guerre ; en conséquence, il invitait Philoclès à dire lui-même à quel châtiment il se condamnait. C’est contre cette flétrissure que proteste le général athénien : Nous n’avons point de juges, s’écrie-t-il ; nous n’avons fait qu’user, rigoureusement il est vrai, mais légitimement, du droit de la guerre. Voyez, à votre tour, ce que vous avez à faire. Sans doute, la véritable jurisprudence de la force est contraire au massacre des prisonniers ; mais remarquons que l’erreur des anciens ne porte que sur l’interprétation de la loi, tandis que chez nos écrivains modernes elle porte sur le principe même[1].

Oh ! certes, le droit de la force est terrible dans son exercice, alors qu’il s’agit d’y soumettre une population récalcitrante, qui mérite précisément d’autant plus d’estime qu’elle se refuse avec plus d’énergie. Mais les excès dont la guerre s’accompagne ne doivent pas faire perdre de vue le principe de droit qui s’y trouve impliqué ; pas plus que les erreurs judiciaires, la vénalité des magistrats, l’obscurité de la loi, l’astuce des plaideurs, ne peuvent faire mé-

  1. L'ouvrage de M. Laurent, 5 vol. in-8o, n’est qu’une longue protestation, en forme de répertoire historique, contre le droit de la force. Il est fâcheux que l’auteur n’ait pas aperçu que ce droit, qu’il réprouve, est toute la substance et l'âme de l’histoire, et qu’en le niant, il se soit ôté à lui-même l’idée, et par conséquent la gloire, d’un magnifique ouvrage.